Suivi des OQTF, métiers en tension... : les bonnes et les mauvaises idées du projet de loi immigration
Suivi des OQTF, métiers en tension... : les bonnes et les mauvaises idées du projet de loi immigration
Gerald Darmanin, au " palais du Luxembourg ", fin octobre 2022. STEPHANE DUPRAT/SIPA
Olivier Dussopt, ministre du Travail, et Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, ont dévoilé certains contours du projet de loi immigration qui devrait être présenté début 2023, dans le journal " Le Monde " ce mercredi.
Passage au crible des mesures annoncées.
Dans un entretien croisé accordé au journal " Le Monde " le 2 novembre, le ministre du Travail et celui de l’Intérieur ont évoqué les problèmes d’application des fameuses OQTF - les " obligations de quitter le territoire français " - la possibilité de créer un nouveau titre de séjour pour les " métiers en tension ", ou encore, l’enjeu de la maîtrise de la langue.
Inscription des OQTF au fichier des personnes recherchées
« (...) Pour calculer le taux d’exécution [des OQTF] on ne compte que les départs aidés et les départs forcés, soit près de 17 000 éloignements en 2021.
Or, des milliers de personnes quittent le territoire après avoir reçu une OQTF, sans qu’on le sache. Nous allons désormais inscrire toutes les OQTF au " Fichier des personnes recherchées ", le FPR.
Il ne s’agit pas de rétablir le délit de " séjour irrégulier ", mais de pouvoir constater que la personne repart comme lorsque, par exemple, elle reprend un avion, et ainsi de compter tous les départs d’étrangers. »
En effet, depuis 2012, être en " situation irrégulière " n’est plus considéré comme un délit en France du fait de l’application très large d’une directive européenne.
Cependant, l’inscription des personnes sous le coup d’une OQTF au " Fichier des personnes recherchées " est déjà possible depuis l’application d’un décret en 2010.
L’inscription par les préfectures n’étant pas automatique, Gérald Darmanin souhaite la rendre systématique. Cela ne devrait pas avoir une grande incidence sur l’application des OQTF, mais plutôt permettre de mieux connaître le nombre de " clandestins " présents sur le territoire.
" Aujourd’hui, lorsque la préfecture prend une OQTF, le suivi n’existe que pour les personnes dangereuses. Je demande donc aux préfectures de réaliser un suivi des personnes sous OQTF. Le préfet veillera à leur rendre la vie impossible, par exemple en s’assurant qu’elles ne bénéficient plus de prestations sociales ni de logement social. "
Le contrôle de l’octroi des prestations sociales et l’attribution des logements sociaux relèvent de la compétence des bailleurs sociaux, des municipalités et des CAF.
Normalement, on peut être bénéficiaire d’un " logement social " et des APL sans titre de séjour. Concernant le " logement social " de personnes sous le coup d’une OQTF, la question est celle des conditions de rupture du bail, la rupture du bail n’est pas automatique.
Se pose aussi la question du contrôle des prestations sociales.
Le 20 octobre dernier, le ministre de l’Intérieur avait déclaré vouloir « généraliser l’expulsion des " logements sociaux " des familles » de délinquants, excepté pour les familles en difficulté comme les familles monoparentales.
Une proposition qui ne fait pas l’unanimité au sein de la " Macronie ". Le député de la majorité et président de la " Commission des lois " à « l’Assemblée » - Sacha Houlié - s’y est opposé alors même que certains bailleurs ont obtenu ces expulsions.
Le « Conseil d’État » et le « Conseil constitutionnel » pourraient être saisis.
Le problème majeur demeure l’obtention des " laissez-passer consulaire " (LPC). Emmanuel Macron a déclaré sur " France 2 " qu’il voulait conditionner le versement d’une partie de " l’aide au développement " à la délivrance des LPC. Si certains pays européens le font, cette politique n’a jamais été menée par la France jusqu’à présent.
Renouvellement des « titres de séjour »
" Nous allons d’ailleurs proposer le renouvellement automatique des titres pluriannuels de ceux qui ne posent aucun problème, qui n’ont aucun casier judiciaire (...) Cela représente quelques centaines de milliers de personnes qui seront dispensées de files d’attente dans les préfectures. "
Une proposition plutôt logique dans la mesure où 90 % des titres sont renouvelés.
« Droit d’asile »
« L’Ofpra [" Office français de protection des réfugiés et apatrides "] a diminué ses délais d’instruction.
En revanche, la CNDA a énormément de dossiers qui arrivent sur son bureau. Nous proposons, en discutant avec le " Conseil d’État ", quatre simplifications en matière " d’asile ".
Nous allons répartir sur le territoire les chambres de la CNDA. À la faveur du juge unique, la formation de jugement collégiale ne se réunira plus que pour les arrêts de principe ou des cas très difficiles.
La possibilité d’organiser des audiences en vidéo sera généralisée et, enfin, s’il n’y a pas " d’appel " contre le rejet de la demande d’asile par l’Ofpra, celui-ci vaudra OQTF avec possibilité de recours sous quinze jours. »
Comme beaucoup d’institutions françaises, la CNDA fait face à un manque de ressources humaines et de moyens financiers alors que les demandes sont toujours plus importantes. Le juge unique apparaît comme un moyen de démultiplier les capacités de jugement.
Résidence " tolérée "
« Cependant, il y a des gens à qui on refuse l’asile et à qui on délivre des OQTF, mais qu’on ne peut pas expulser car ils sont Syriens ou Afghans et nous n’avons pas de relations diplomatiques avec Bachar al-Assad ou les " talibans ".
Nous ouvrirons donc une discussion à ce propos lors du débat sur l’immigration au Parlement, qui aura lieu dans quelques semaines.
Faut-il leur accorder une résidence " tolérée ", comme en Allemagne, en attendant de pouvoir procéder à leur éloignement ? »
Il s’agit d’une reproduction de ce qui existe en Allemagne, mais que la « Cour de Justice » de « l’Union européenne » vient de remettre en cause.
Le problème des Afghans est surtout celui des " Dublinés " - ceux dont la demande d’asile a été refusée dans plusieurs pays d’Europe et qui errent plusieurs années - relevant d’un autre pays.
Enfin, il y a un problème d’harmonisation au sein de « l’Union européenne » : certains pays considèrent qu’on peut de nouveau effectuer des retours en Afghanistan.
Examen de français
" Nous souhaitons conditionner les titres de séjour pluriannuels à la réussite d’un examen de français. Cela va changer beaucoup de choses. Aujourd’hui, un quart des étrangers qui ont des titres de séjour comprennent et parlent extrêmement mal le français. "
La question de la maîtrise de la langue est le " talon d’Achille " de la France. À ce jour, la France ne conditionne pas le droit au séjour à la maîtrise d’un niveau en langue française, contrairement à la majorité des États membres de « l’Union européenne » qui l’exige pour obtenir un visa puis un droit au séjour – même dans le cadre du « regroupement familial ».
Il s’agit de conditionner la délivrance d’un titre de séjour pluriannuel à l’obtention d’un niveau de langue et pas seulement - comme aujourd’hui - au seul fait d’assister aux cours. Certains vont plus loin encore : dans le cadre de " l’immigration familiale ", l’Allemagne, l’Autriche et les Pays-Bas exigent un niveau « A1 » avant l’entrée sur leur territoire.
Autorisation de travail
« De la même manière, on demande à des étrangers qui ont immigré pour des raisons économiques une autorisation administrative de travail à chaque fois qu’ils changent de contrat et c’est l’employeur qui doit formuler la demande.
Là aussi, on peut ouvrir le débat sur le fait d’avoir une autorisation de travail pour toute la durée du séjour. Nous souhaitons aussi que cette autorisation ne soit plus conditionnée à la volonté de l’employeur. »
En effet, l’employeur de l’étranger doit lui-même déclarer. Si le système venait à changer au profit d’une déclaration par le travailleur étranger, se poserait la question du contrôle de l’existence d’un contrat de travail.
« Nous souhaitons, tout particulièrement dans " les métiers en tension " comme ceux du bâtiment, que le travailleur immigré en situation irrégulière puisse solliciter la possibilité de rester sur le territoire sans passer par l’employeur. »
La France peine à prendre en charge les personnes peu ou pas qualifiées, alors que la plupart des " métiers en tension " exigent des qualifications ou un minimum de maîtrise de la langue française.
Des précisions doivent encore être apportées : quel serait le délai de présence ?
Dans quelle mesure une personne arrivant en France et déclarant vouloir travailler dans un " métier en tension " aurait-elle droit à un titre ?
« Nous ne donnons peut-être pas assez de titres de séjour aux gens qui travaillent et qu’un certain patronat utilise comme une " armée de réserve ", pour parler comme Marx. »
Un travailleur étranger, non " européen ", en situation irrégulière en France peut obtenir une régularisation par le travail. Chaque année plusieurs milliers de personnes en bénéficient. L’année dernière, près de 36 500 travailleurs étrangers ont obtenu un titre de séjour grâce au travail.
Ce dispositif s’ajoute à la fameuse " circulaire Valls " du 28 novembre 2012 permettant, selon différentes conditions (ancienneté sur le sol français, enfants scolarisés, conjoint en situation régulière…) d’obtenir une admission au séjour.
« Quand on rappelle au RN que plus de 20 % des médecins qui ont sauvé des vies pendant le " Covid " étaient des étrangers et que si nous devions expulser tous les étrangers de France, il y aurait un peu moins de curés dans les églises, on s’aperçoit qu’ils sont " gênés aux entournures ". »
Il y a actuellement plus de médecins tunisiens en France qu’en Tunisie.
Chaque année, près de 1 000 médecins tunisiens quittent leur pays, ce qui représente peu ou prou le nombre de médecins formés en Tunisie.
23 000 médecins étrangers exercent dans « l’Hexagone », un peu moins de la moitié détient un diplôme européen, les autres viennent de pays " extra-européens ", généralement du « Maghreb » ou de « l’Afrique subsaharienne ».
Une " fuite des cerveaux " qui interroge face à la pénurie de professionnels de santé dans les pays d’origine.
Rachel BINHAS
Marianne.fr