Plan de 8,1 milliards d’euros pour les soignants : " Le Ségur a été réduit à des questions de rémunérations "
Plan de 8,1 milliards d’euros pour les soignants : " Le Ségur a été réduit à des questions de rémunérations "
" Il n’y a rien sur la gouvernance et la refondation systémique de l’hôpital. Toutes ces demandes fondamentales n’ont pas trouvé de réponses ", pointe le chirurgien marseillais Jean-Luc Jouve. - érôme Leblois / Hans Lucas / AFP
Ce lundi 13 juillet, un plan à 8,1 milliards d’euros a été signé entre le gouvernement et trois organisations syndicales, notamment pour revaloriser les salaires des paramédicaux. Un " moment historique " pour le nouveau « Premier ministre ». Un " coup d’épée dans l’eau " pour les syndicats non signataires.
Deux salles, deux ambiances.
Ce mardi 14 juillet, jour de fête nationale, une poignée de « soignants » a défilé aux côtés des militaires place de la Concorde à Paris. Un hommage, pour " le service rendu à la nation " lors de la crise du " Covid " qui a fait 30 029 morts en France.
Une reconnaissance aussi ?
Ce n’est en tout cas pas le ressenti de la plupart d’entre eux. Dans le même temps, place de la République, à Paris, place Bellecour, à Lyon, ou encore à Bordeaux place de la Bourse, des centaines de " blouses blanches " s’adonnaient à un autre défilé, moins solennel. Une énième marche pour dire leur déception, leur amertume face aux accords signés ce lundi 13 juillet entre le gouvernement et trois organisations syndicales, dont la CFDT, FO et l’Unsa.
Sur la table, 7,5 milliards d’euros de revalorisation salariale, par an, au profit de 1,5 million de " paramédicaux " (infirmiers, aides-soignants, masseurs-kinésithérapeutes...) et " non-médicaux " (techniciens, brancardiers, agents administratifs...) des établissements de santé, publics et privés.
Soit 183 euros net mensuels.
Pour le nouveau « Premier ministre », Jean Castex, il s’agit-là d’un " moment historique pour notre système de santé ". Et pour cause : dix ans que les salaires de ces personnels étaient " gelés " !
Mais ce sentiment de satisfaction est loin d’être unanime.
" Pour le moment historique, on y est pas du tout ", tacle Jean-Luc Jouve, chef de service d’orthopédie pédiatrique à l’hôpital de la Timone à Marseille et membre du collectif " Inter-Hôpitaux ".
" Ces 183 euros sont encore loin des 300 euros que l’on demandait pour que la France ne soit plus parmi les mauvais élèves des pays de l’OCDE en matière de rémunération des paramédicaux ".
En pleine manifestation sur l’avenue du Prado à Marseille, Jean-Luc Jouve prévient : " Le Ségur est terminé mais notre volonté de sauver l’Hôpital public est intacte. On ne se laissera pas faire ! ".
De nouvelles majorations sont en outre envisagées pour les heures supplémentaires, le " travail de nuit ", du dimanche et des jours fériés, tandis que des mesures seront prises pour développer " l’intéressement collectif ".
" Rien de concret ! ", lâche le chirurgien marseillais qui se dit " déçu ". " C’est un geste clivant qui ne concerne quasiment que les paramédicaux. Une manoeuvre politique pour désamorcer le mouvement ", estime-t-il.
UNE " MANŒUVRE POLITIQUE "
Et si les quinze syndicats à l’initiative de ces cortèges du 14 juillet ne crachent pas sur une telle revalorisation, ils dénoncent tous de concert une manœuvre politique pour tuer le mouvement contestataire.
" Le Ségur a finalement été réduit à des questions de rémunérations ", s’agace Lamia Kerdjana, praticienne hospitalière à l’AP-HP et présidente du syndicat " Jeunes Médecins " en région parisienne.
" Alors que l’élément fondamental de nos demandes est sa refondation pour une meilleure prise en charge des patients et le retour à une certaine qualité de vie au travail… Or, toutes ces questions ont été complètement éludées par le gouvernement ".
L’accord promet également des " recrutements ". Si le nombre exact n’est pas écrit " noir sur blanc ", l’exécutif " part sur une création de 15 000 postes ", a prévenu Olivier Véran dans un entretien accordé dimanche aux quotidiens du groupe " Ebra ".
" Encore un effet d’annonce, une parole creuse ", lance Hugo Huon, infirmier à Paris et membre du collectif " Inter-Urgences ". " Sur ces 15 000 créations d’emplois, 7 500 sont en réalité déjà budgétés, mais non pourvus. Seuls 7 500 sont créés ".
" LE PROBLÈME DE L’ATTRACTIVITÉ N’EST PAS RÉGLÉ "
Quant aux 450 millions destinés aux revalorisations salariales des médecins hospitaliers censés donner meilleure attractivité de « l’Hôpital public » face aux cliniques et à l’intérim, Lamia Kerdjana préempte un échec.
" On ne peut pas dire que le problème de l’attractivité est réglé alors que cet accord favorise surtout les fins de carrières. Rien n’est prévu pour attirer les jeunes médecins ", explique-t-elle.
En effet, l’accord prévoit une " révision " des grilles de salaires à compter du 1er janvier 2021, avec une fusion des trois premiers échelons et la création de trois échelons supplémentaires en fin de carrière.
" C’est pas avec ça que l’on va combler les 30 % de postes vacants de médecins hospitaliers ", ajoute-t-elle.
Médecins comme paramédicaux s’attendaient à un " choc d’attractivité " pour « l’Hôpital public ».
" Avec ces 8,1 milliards d’euros, le gouvernement n’a pas la volonté de sauver l’hôpital public ", estime Lamia Kerdjana.
Quid des ouvertures de lits que demandent les « soignants » depuis plus d’un an et demi, de la tarification à l’acte qui conduit l’hôpital à être chaque jour un peu plus rentable ?
" Il n’y a rien sur la gouvernance ni la refondation systémique de l’hôpital. Toutes ces demandes fondamentales n’ont pas trouvé de réponses ", pointe le chirurgien marseillais Jean-Luc Jouve.
Le Président avait pourtant promis, " un plan massif pour l’hôpital " en mars dernier alors que l’épidémie de " Covid-19 " dévoilait au grand jour les maux de l’institution.
" Il faut relancer des discussions, mais je crois que le prochain enjeux, pour nous hospitaliers, ce sera en 2022… ", souffle Hugo Huon, du collectif " Inter-Urgences ". La désillusion est palpable. Et la contestation finalement loin d’être éteinte.
Célia Cuordifede
Marianne