Non, la souffrance n’est pas une chanson douce
Non, la souffrance n’est pas une chanson douce
La souffrance n’éclaire rien, arrêtons de la parer de vertus improbables aussi archaïques qu’inutiles.
Josanne Mercier soufrait. Nuit et jour. Elle avait songé plusieurs fois au suicide puis à se rendre en Suisse, seul son état avait rendu impossible ce dernier voyage. Le 10 novembre 2011, elle demanda plusieurs fois à son mari de lui fournir une grande quantité de médicaments et un grand verre d’eau, ce qu’il finit par faire.
Mardi dernier, Jean Mercier, 87 ans, soufrant de la maladie de Parkinson et d’un cancer de la prostate, se tenait droit comme un i pour entendre le procureur requérir contre lui trois ans avec sursis pour non-assistance à personne en danger. Lui n’avait vu là que la plus ultime et la plus déchirante preuve d’amour.
Ceux qui ont entendu cet octogénaire, qui aura attendu pendant presque quatre ans son procès, auront été frappés par la dignité de l’homme qui refuse tout sursis, qui réclame d’être jugé, en dépit de son état et de son grand âge, comme un justiciable ordinaire et qui souhaite que l’on rouvre sereinement le débat sur le suicide assisté. Il ne devrait plus y avoir de Jean Mercier devant les tribunaux en France.
Qu’il me soit permis ici de relater brièvement une expérience personnelle.
Il y a plusieurs années, avant l’adoption de la loi Leonetti, j’ai accompagné les derniers instants d’une personne très proche, atteinte d’un cancer généralisé dans un grand hôpital parisien. Elle souffrait physiquement le martyre. Mais elle souffrait aussi psychiquement, ayant été mannequin dans sa jeunesse et toujours soucieuse de son apparence.
La vue de son corps déformé et noirci lui était devenue insupportable. Et, ne pouvant parler, elle exprimait sa tristesse et sa colère par un masque de dégoût. Le jour vint où elle fut mise en permanence sous morphine. Régulièrement, une infirmière entrait dans sa chambre, se tournait vers moi et me disait : « Surtout, n’augmentez pas la dose, cela pourrait provoquer un arrêt cardiaque. » Une fois où se renouvela le curieux manège, un ami médecin m’accompagnait, je lui demandai aussitôt la raison de cette interpellation permanente. « C’est parce qu’elle attend que ce soit toi qui prennes la responsabilité d’augmenter la dose » A l’époque, je ne savais pas ce qu’était « un aidant ».
Joseph Macé-Scaron
Marianne