Mort de Míkis Theodorákis, compositeur, homme politique et éternel révolté
Mort de Míkis Theodorákis, compositeur, homme politique et éternel révolté
Le compositeur et " homme politique " grec Míkis Theodorákis est mort, © Maxppp / Orestis Panagiotou
Figure de la lutte contre les dictatures en Grèce, compositeur foisonnant trop souvent réduit à sa musique du film " Zorba le Grec ", Míkis Theodorákis était une icône de la vie musicale et politique grecque. Il s’est éteint à l’âge de 96 ans.
Míkis Theodorákis avait traversé l’Histoire. Sa présence nous rappelait au besoin une Europe pétrie de contradictions, de conflits, de guerres et de dictatures, de crises sociales et politiques.
Enfant rare né de l’union entre " musique " et " politique ", il reste autant le compositeur du sirtaki de " Zorba le Grec " que l’une des plus grandes figures de la vie politique grecque.
Míkis Theodorákis est mort à Athènes, il avait 96 ans.
" France Musique " lui rendra hommage ce jeudi 2 septembre dans " Relax " avec Lionel Esparza, et Thierry Jousse lui consacrera son " Ciné Tempo " ce samedi.
https://www.francemusique.fr/emissions/cine-tempo
Musique, guerres et exil
Míkis Theodorákis voit le jour en 1925 sur l’île de Chios. Une île grecque à quelques encablures de la Turquie, dominée au fil de son Histoire par l’un puis l’autre de ces pays, et dont la position ne sera pas étrangère au combat du député Theodorákis pour le rapprochement des deux nations.
Très tôt passionné par la musique, les mutations de son père, fonctionnaire d’Etat, lui imposent une formation itinérante. Il n’a pas encore 16 ans lorsque son pays est envahi par les troupes italiennes et allemandes.
Un an plus tard, il donne son premier concert à Tripolis, signe ses premières compositions (des chansons et une " Sonatine " pour piano) et entre en résistance.
Arrêté et torturé par les Italiens lors d’une manifestation, il s’échappe pour Athènes où il rejoint le " conservatoire de musique ", le " Front de Libération Nationale " (EAM) et la pensée " marxiste-léniniste ".
Ses diplômes du conservatoire (en " harmonie ", " contrepoint " et " fugue "), le musicien ne les obtiendra que des années plus tard, en 1950.
A peine libérée, la Grèce sombre dans la guerre civile et Míkis Theodorákis - comme Iannis Xenakis - s’oppose au gouvernement royaliste (et surtout " anti-communiste ") soutenu par les Britanniques puis par les Américains.
Battu à mort pendant une manifestation en mars 1946, il se réveille dans une morgue le crâne fracturé et l’œil droit diminué.
Exilé à plusieurs reprises, torturé, condamné à mort, Theodorákis est interné dans le " camp de rééducation " de Makronissos où il contracte la tuberculose.
Ces années en enfer pèseront physiquement sur le compositeur et donneront naissance à de nombreux hommages musicaux pour ses compagnons tombés, à l’image de sa " Première symphonie " (1953), dédiée à deux amis morts de camps opposés ou sa tragédie musicale " Ballade du Frère mort " (1960).
Grèce et paix
Dans une Grèce moribonde mais " pacifiée ", Míkis Theodorákis se fait connaître avec " La fête de l’Assi-Gonia ", composé en 1947 et donné à Athènes par " l’Orchestre national " en 1950.
Il épouse Myrto Altinoglou, rencontrée dix ans plus tôt. Tous deux obtiennent une bourse pour poursuivre leurs études à Paris, elle en " radiologie " à « l’Institut Curie », lui au « Conservatoire » auprès d’Eugène Bigot pour la direction et d’Olivier Messiaen pour la composition.
Ce premier épisode parisien voit Míkis Theodorákis multiplier les compositions et rencontrer ses premiers grands succès internationaux.
Présidé par Chostakovitch, le " Festival de Moscou " donne la médaille d’or à sa " Suite n°1 " pour piano et orchestre en 1957.
Deux ans plus tard sort le film " Honneymoon ", dont la chanson principale sera reprise par les " Beatles ", tandis que le ballet " Antigone ", sur une musique de Theodorákis, triomphe à " Covent Garden " et que Nana Mouskouri enregistre " Epitaphios ".
Ce cycle de chansons sème les graines de la " révolution culturelle " en Grèce. Comme un couronnement, Míkis Theodorákis reçoit cette même année 1959 le " Prix du meilleur compositeur européen " de la " William and Nomma Copley Foundation ", sur proposition de Darius Milhaud.
Auréolé, le compositeur retourne en Grèce en 1960 avec pour projet de composer une musique néo-héllenique " pour les masses ", une " chanson populaire-savante " sur le modèle d’ " Épitaphe ".
Il veut devenir le " Bartók grec ".
Un millier de mélodies verront ainsi le jour, sur des textes de Georges Séféris (" Prix Nobel de littérature " en 1963), Iakovos Kambanéllis, Yannis Ritsos...
Cette recherche d’une nouvelle musique grecque profondément ancrée dans la tradition, Míkis Theodorákis la diffuse sur la surface du globe en 1964 avec " Zorba le Grec ", lorsque Anthony Quinn (Alexis Zorba) apprend à Alan Bates (Basil) à danser le " sirtaki " sur une plage.
Une danse créée de toute pièce pour le film, mélangeant de nombreuses autres danses traditionnelles tombées en désuétude, et qui devient un symbole national.
Dès l’année suivante, Dalida reprend la musique et installe " La Danse de Zorba " dans le palmarès des meilleures ventes de disques en Europe et en Amérique du Sud.
https://www.youtube.com/watch?v=WiKGXLx80Jo
Míkis Theodorákis grave son nom dans la mémoire collective comme le compositeur du " sirtaki " de " Zorba le Grec ". Perçu comme le " fer de lance " d’une renaissance culturelle grecque, le compositeur est mûr pour se lancer en politique.
Míkis Theodorákis en Grèce, vers 1965-1967. , © Getty
L’idole des gauches
Le 27 mai 1963 meurt à Thessalonique le médecin et député de gauche Grigóris Lambrákis.
L’attentat est politique, il secoue la Grèce entière et bouscule Míkis Theodorákis qui fonde en réaction le mouvement des " Jeunesses Lambrakis " et se fait élire député de la circonscription du Pirée.
Le mandat est de courte durée ; les " Lambrakidès " sont incorporés à la gauche dominante - l’EDA - et l’instabilité politique se solde par un coup d’état le 21 avril 1967.
La dictature des colonels s’installe. Elle emprisonne le compositeur et interdit sa musique.
En France, ces événements politiques sont portés à l’écran par Costa-Gavras, qui réalise " Z " en 1969, avec Yves Montand et Jean-Louis Trintignant.
Le réalisateur demande à Míkis Theodorákis d’en composer la musique et ce dernier, emprisonné, lui propose de se servir dans son oeuvre. Le film remporte le " prix du jury " à Cannes, " l’Oscar " et le " Golden Globe " du meilleur film étranger, et braque un projecteur de plus sur la dictature.
Mikis Theodorakis au défilé du 1er mai 1970, avec Georges Marchais, © Getty
Sous la pression internationale, et grâce notamment aux soutiens de Chostakovitch et de Bernstein, Theodorákis obtient finalement la permission de quitter le pays et atterrit à Paris le 13 avril 1970.
L’exil en France dure quatre ans et marque une nouvelle étape dans le vie du Grec, devenu " icône contestataire ". Il se lie à François Mitterrand qui préface un de ses ouvrages et lui commande " l’hymne socialiste " du congrès de 1977, rencontre Salvador Allende et Pablo Neruda au Chili et projette la mise en musique du " Canto General ".
Il signe à la même époque la musique du film " Serpico " avec Al Pacino (1973).
Éternel révolté
La fin de la dictature des colonels, en 1974, offre au compositeur un retour triomphal dans son pays natal.
Depuis, il ne quitte jamais bien longtemps le devant de la " scène politique ". Il y participe activement dans les années 1980 et 1990, redevient député, et plus tard « ministre d’Etat » sans portefeuille dans le gouvernement de Konstantinos Mitsotakis, prônant le rapprochement entre Grecs et Turcs et le développement des structures culturelles.
" C’était mon besoin de communiquer avec les autres en tant que créateur qui m’a orienté vers cette chimère qu’a été mon implication dans la chose publique » (entretien au " Monde ", 11 février 2010)
Theodorákis revient à la musique " symphonique " : il compose quatre symphonies et signe la musique du ballet de Maurice Béjart " Sept danses grecques ".
Son engagement est plus que jamais lié à la création musicale.
A partir de 1988, il se lance dans la composition d’opéras sur des figures antiques : " Medea " (1988), " Electra " (1992), " Antigone " (1995) et " Lysistrata " (1999).
Mais la " figure sacrée " s’effrite au fil du temps.
A trop vouloir, selon ses mots, " être du côté des faibles " comme le peuple palestinien, il en vient à tout mélanger : l’Etat d’Israël et les « juifs », " sionisme " et " sémitisme ".
En 2003, il déclare que " ce petit peuple est à la racine du mal, et non du bien ", puis se défend de la polémique en rappelant son combat contre les Nazis.
Il salue le peuple israélien qu’il " honore et admire " mais dénonce " les phénomènes négatifs qui noircissent l’image d’Israël et deviennent, en fait, des facteurs d’antisémitisme " (propos recueillis par " le Monde " le 14 novembre 2003).
Ces paroles susciteront une autre polémique, en France cette fois, lorsqu’Alain Juppé et d’autres personnalités de l’UMP accusent en 2012 Jean-Luc Mélenchon d’être lié à des personnalités " anti-sémites ", citant Theodorákis.
Le compositeur fera de nouveau appel à son passé de résistant pour récuser l’accusation mais son image en reste ternie.
Physiquement affaibli depuis plusieurs années, Theodorákis poursuivait son combat contre la politique économique européenne et le plan d’austérité imposé à la Grèce.
En février 2018, on le voyait s’élever contre la modification du nom de la " Macédoine ", avant d’être hospitalisé quelques mois plus tard pour un problème cardiaque.
Un séjour hospitalier qui s’était renouvelé pendant quelques semaines au début de l’année 2019.
Guillaume DECALF
Francemusique.fr