Mort d’Anne Sylvestre, figure de la chanson pour petits et grands
Mort d’Anne Sylvestre, figure de la chanson pour petits et grands
© Stéphane DE SAKUTIN / AFP
Chanteuse pour enfants et " féministe ". C’est ce que beaucoup retiennent de la carrière d’Anne Sylvestre récemment disparue lundi soir, à l’âge de 86 ans. Mais elle était surtout une merveilleuse parolière et compositrice qui a façonné son style pendant " l’âge d’or " de la chanson.
Elle est la personne que l’on n’écoutait plus beaucoup, surtout si on avait quitté les rivages de l’enfance. Les " petits " célèbrent d’autres héros, comme Henri Des, peut-être parce qu’il a habilement su intégrer du " hard rock " dans ses chansons.
Anne - elle - habite un autre monde, un autre temps, plus féerique, moins fonctionnel, celui de Sonny et Cher, des " Everly Brothers ", du " folk " lustral très en cours alors, dernier emblème d’une décennie " sixties " axée sur la magie, la geste médiévale, un univers indémodable.
Les plus anciens se souviennent d’elle à la télévision pendant les années 1970 avec ses longs cheveux de jais, ses grands yeux clairs, son visage anguleux transperçant le noir et blanc du téléviseur.
Ils ont encore dans l’oreille cette voix haut perchée de troubadour, ses délicats accompagnements de guitare et ses " nappes " de violon. Ils fredonnent les “ Cathédrales ” avec l’orgue liturgique dans le fond (1962), “ Marie ” et “ T’en souviens-tu la Seine ” (1964), où elle parle au fleuve, invocation romantique des souvenirs et des promenades oubliées sur les quais…
La qualité des compositions et le soin apporté aux arrangements la placent très haut, bien au-delà de l’enfance, à côté de Brassens, Brel, Barbara, de ses brillants contemporains, sans oublier ces filles un peu bâties sur le même modèle, Anne Vanderlove, Catherine Ribeiro ou Valérie Lagrange.
« Anne avait à la fois tout pour réussir et pour échouer , a raconté le grand découvreur de talent Jacques Canetti. Des textes admirablement charpentés, parfois d’inspiration mystique et provocateurs. Les musiques étaient bonnes, mais Anne éprouvait des difficultés à " établir le contact ". »
" Je suis seule au logis "
Née près de Lyon le 20 juin 1934, Anne-Marie Thérèse Beugras suit des études de lettres à la Sorbonne.
À la fin des années 1950, comme tous les chanteurs de son époque, elle commence dans les cabarets, où la chanson " s’usine " intelligemment : " La Colombe ", " Le Cheval d’Or ", " La Contrescarpe ", et bien sûr les fameux " Trois Baudets " qui sera sa place forte pendant quelques années.
C’est en 1961, avec la ballade “ Mon mari est parti ” qu’elle se révèle, mélancolique comptine sur une attente et une absence, écrite avec les mots chamarrés et anciens d’une damoiselle en perte d’amour.
" Mon mari est parti un beau matin d’automne, la vendange était bonne, et le vin était doux…. Je suis seule au logis. "
Elle ouvre une œuvre très poétique et élégante, bien souvent admirée par ses illustres confrères. Gilbert Bécaud lui propose d’assurer sa " première partie " et Brassens écrit la préface de son deuxième 33 tours, “ La Femme du vent ” (1962) : " Elle a conquis ses amis, un par un et définitivement. On commence à s’apercevoir qu’avant sa venue dans la chanson, il nous manquait quelque chose d’important. "
Ce qui l’a séduit, c’est l’incroyable lyrisme de l’artiste, comme dans cette chanson où elle s’imagine avoir comme amant le vent, pressée, bousculée...
Le succès éclipsera malheureusement la ligne solaire d’Anne Sylvestre.
La parution des “ Fabulettes ” en 1962, inspirées par la naissance de ses filles Alice et Philomène, qui certainement méritent d’être réécoutées, l’engage sur le chemin de l’école.
Ses dix-huit albums pour enfants, rentables, avaleront un peu sa carrière, comme les vicissitudes du temps, le " rock ", la révolution de « Mai 1968 », les courants versatiles et toutes sortes d’impondérables venus entraver ses suaves cantates.
Mais après tout, Anne Sylvestre, avec son caractère mal embouché, s’en fiche.
Maîtresse de son destin
Elle est devenue sa propre productrice, maîtresse de son destin, puisqu’en pleine explosion « MLF », pour soutenir le combat de Simone Veil en faveur de l’avortement, elle écrit “ Non, tu n’as pas de nom ” (1974). Elle ne cessera jamais de chanter, de publier des albums, moins présente en radio et sur les chaînes de télévision, boudée quelque part - convenons-en - même si le public lui demeurait fidèle, amateur de ses saynètes qui fleuraient bon la nature.
Ces dernières années, elle aura eu la douleur de perdre son petit-fils Baptiste Chevreau (le fils de Philomène), dans l’attaque terroriste du « Bataclan » en 2015.
Amateur de " flamenco " et de Paco de Lucia, ce garçon de vingt-quatre ans avait aimé la musique au point d’en mourir.
" Il avait un grand projet qui était la sauvegarde de l’œuvre de sa grand-mère " dira Philomène.
Anne Sylvestre s’emmura dans une peine insondable dont elle eut du mal à guérir. Elle comptait revenir en 2021, et préparait une tournée, “ Nouveaux manèges ”.
Le " manège de la musique " s’est arrêté de tourner. Nous avons bon espoir qu’il reparte. Malheureusement celui merveilleux d’Anne Sylvestre s’est éteint.
Définitivement.
Stéphane KOECHLIN
Marianne