Mali. L’impérialisme français au bord d’une humiliation
Mali. L’impérialisme français au bord d’une humiliation
Des paramilitaires du " Groupe Wagner " seraient déjà au Mali. Bamako défie les occidentaux, à commencer par la France qui pourrait accélérer son départ du pays. Mais à quel prix ?
Depuis septembre dernier la France et ses partenaires occidentaux intervenant au Sahel dans le cadre de la lutte contre les organisations " djihadistes " préviennent le gouvernement " putschiste " au Mali qu’une intervention de la société militaire privée russe " Wagner Group " serait incompatible avec leur présence dans le pays.
Les gouvernements occidentaux dénoncent les violations des " droits humains " dont le " Wagner Group " est accusé dans d’autres scénarios en Afrique, au Moyen-Orient et en Ukraine.
Cependant, un autre élément déterminant qui explique sans doute l’attitude des puissances occidentales est qu’elles craignent qu’une intervention des mercenaires de " Wagner " ouvrant la voie aux intérêts économiques russes dans ce pays stratégique de l’Afrique de l’ouest.
Maintenant tout semble chose faite. Du moins à en croire le communiqué émis par quinze pays engagés dans la lutte contre le " djihadisme " au Sahel.
Parmi ces Etats on retrouve l’Allemagne, le Canada, la Grande-Bretagne, le Portugal, l’Italie et évidemment la France.
Dans le communiqué, on dénonce non seulement la présence de paramilitaires russes à Bamako mais également l’assistance logistique russe pour le transport de troupes.
Ces derniers jours, les communiqués et déclarations de la part de gouvernements des puissances « impérialistes » mettant en garde le gouvernement militaire au Mali contre l’arrivée du " Wagner Group " s’étaient multipliés.
Les Etats-Unis avaient ainsi émis un communiqué en ce sens la semaine dernière et il y a quelques jours, c’est l’Allemagne, par la voix de la ministre allemande de la Défense, Christine Lambrecht, qui avait envisagé de partir du Mali en cas d’arrivée de " Wagner ".
https://www.dw.com/fr/mali-allemagne-relocalisation-armee/a-60199434
L’annonce en juin dernier d’Emmanuel Macron, vraisemblablement unilatérale, de réorganiser l’opération " Barkhane " à travers une réduction du nombre de ses effectifs (passant de 5 100 actuellement à autour de 3 000 d’ici 2023) et la fermeture de certaines de ses bases au nord du pays a approfondi la crise entre Paris et Bamako.
Cependant, il existait déjà des tensions entre la France et les militaires maliens, notamment autour de la stratégie à adopter dans la lutte contre le " djihadisme ".
Le gouvernement, en effet, s’oppose à toute négociation avec les organisations " islamistes " alors que le gouvernement " de facto " malien aimerait ouvrir des discussions avec les armées " djihadistes " et éventuellement les intégrer au gouvernement.
Pour les militaires maliens, ce serait une façon d’associer certaines forces " islamistes " au combat contre les rebelles " djihadistes " liés notamment à " Daesh " et éventuellement des organisations touarègues rebelles ayant signé les " accords d’Alger " en 2015.
On peut aussi mentionner que la fraction militaire au pouvoir actuellement a effectué deux coups d’Etat en août 2020 et en mai 2021 à l’encontre de la volonté de Paris. Et ces militaires ont des liens avec la Russie de longue date même si beaucoup d’entre eux ont aussi été formés par les armées occidentales.
Alors que ces frictions et dégradations des relations entre le gouvernement à Bamako et « l’impérialisme » français se développaient, un évènement d’envergure internationale a encore renforcé la méfiance des militaires maliens : le retrait catastrophique des Etats-Unis d’Afghanistan.
Le précédent afghan a poussé davantage les " putschistes " maliens à diversifier leurs partenaires internationaux et cela d’autant plus que la France annonçait la " réorganisation " de " Barkhane ". En effet, il est probable que l’arrivée de " Wagner " au Mali ait pour mission, entre autres, de protéger le gouvernement à Bamako face à une avancée des groupes " djihadistes " face à un éventuel retrait français.
On ne peut pas affirmer que les militaires maliens aient pour seul objectif de remplacer les forces de " Barkhane " par des mercenaires de " Wagner ", mais cela pourrait constituer également un moyen de faire pression sur la France afin d’obtenir des concessions par rapport à la stratégie, aux élections à venir, etc.
Pour ce faire, les militaires n’hésitent pas à utiliser la colère populaire et le sentiment de plus en plus fort contre la présence militaire française au Sahel parmi la population.
En effet, après près de neuf ans d’intervention, de dégradation de la situation sécuritaire au Mali et dans toute la région et de crimes commis contre des civils par les forces françaises et leurs partenaires, la population malienne, qui avait accueilli l’armée française en héros en 2013, exige de plus en plus fort la fin de " Barkhane ".
Ce dernier élément a constitué aussi une raison pour que le gouvernement français commence à réfléchir à une réorganisation de " Barkhane " et peu à peu concentrer ses forces dans la zone des trois frontières (Mali, Niger et Burkina Faso) et vers le Golfe de Guinée.
Cependant, la France à la différence des Etats-Unis ne peut - et ne veut pas - partir du Sahel.
« L’impérialisme » français y possède énormément d’intérêts économiques et géopolitiques. Il ne peut pas " se payer le luxe " de laisser la place libre pour que d’autres puissances viennent remplir le vide.
Le rapprochement entre le Mali et la Russie est d’ailleurs vu comme un danger pour les intérêts français dans la région. Une possible ouverture vers l’arrivée d’autres concurrents aussi comme la Chine ou la Turquie qui devient de plus en plus une concurrente de la France en Afrique et au Moyen-Orient.
C’est cette situation complexe qui met « l’impérialisme » français dans une situation délicate.
Certes la France avait menacé de quitter le Mali si les mercenaires de " Wagner " arrivaient, mais que va-t-elle faire maintenant que leur arrivée semble un fait ?
Elle ne peut pas se permettre de partir " sans plus " du pays, même si l’on ne peut pas exclure cette possibilité.
Mais pour aller où ?
L’armée française est contestée non seulement au Mali mais aussi au Niger et au Burkina Faso, comme les évènements de ces dernières semaines le montrent.
Autrement dit, l’arrivée de " Wagner " au Mali est un clair défi envers « l’impérialisme » français de la part des militaires maliens qui laisse la France dans une position plus qu’inconfortable où elle pourrait subir une véritable humiliation de la part d’un Etat qui a été depuis son " indépendance " totalement à la merci de Paris.
Du point de vue de la classe ouvrière et des classes populaires au Mali et dans la région, il n’y a rien à attendre de « l’impérialisme » français et ses alliés dans la lutte contre les " islamistes ".
Toutes ces années de guerre où la situation pour les populations s’est dégradée le montrent. Les 15 pays occidentaux dans leur communiqué contre l’arrivée de " Wagner " au Mali écrivent par exemple : « Nous rappelons également l’adoption par " l’Union européenne " d’un ensemble de mesures restrictives à l’encontre du groupe " Wagner " lui-même et de huit personnes et trois entités qui lui sont liées (" Conseil Affaires étrangères " du 13 décembre 2021) impliqués dans de graves violations des " droits de l’homme ", notamment la torture et des exécutions et des assassinats extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires ou dans des activités de déstabilisation dans certains pays où ils opèrent ».
Ces accusations sont réelles et le caractère « réactionnaire » du " Wagner Group " et de la politique étrangère russe est indéniable. Mais nous dévons pointer ici l’hypocrisie des puissances « impérialistes » comme la France dont la complicité avec des exécutions arbitraires de la part du gouvernement égyptien a été révélée récemment.
Mais cela ne doit pas tromper sur la nature du gouvernement malien et de ses partenaires comme la Russie. Ils restent des ennemis des travailleurs, de la jeunesse et des classes populaires du Mali et de la région.
La posture " anti-française " qu’ils adoptent n’a rien à voir avec une quelconque politique " anti-impérialiste ". Il s’agit de tirer profit d’une situation pour mieux négocier dans le cadre d’une relation en dernière instance de subordination vis-à-vis de « l’impérialisme » français (la monnaie du Mali est toujours le franc CFA, par exemple).
Sans une organisation et mobilisation indépendantes vis-à-vis des classes dominantes locales, des puissances " amies " et de « l’impérialisme », les travailleurs et les travailleuses, la jeunesse du Mali et du Sahel resteront seulement face à des alternatives qui vont à l’encontre de leurs intérêts.
Philippe ALCOY
Revolutionpermanente.fr