Loi mémorielle sur la Shoah : la Pologne veut punir ceux qui parlent de " camps de la mort polonais "

, par  DMigneau , popularité : 64%

Loi mémorielle sur la Shoah : la Pologne veut punir ceux qui parlent de " camps de la mort polonais "

La loi doit encore être signée par le président polonais, Andrzej Duda, pour être promulguée. - Grzegorz Banaszak / CrowdSpark

Après les députés, les sénateurs polonais ont voté une loi sur la Shoah destinée, une fois encore bien maladroitement, à défendre l’image du pays. Une loi dénoncée par nombre de voix israéliennes et américaines, mais aussi par des historiens polonais qui y voient une manière de paralyser leurs recherches sur l’histoire sombre de la Pologne.

La Pologne veut interdire l’usage de l’expression " camps de la mort polonais " pour qualifier les camps construits par les nazis sur son territoire.

Après les députés, ce sont les sénateurs qui ont voté une loi en ce sens dans la nuit du 31 janvier au 1er février. Le texte rend passible de peines allant jusqu’à trois ans de prison le fait de dire ou de laisser entendre que la Pologne porte une part de responsabilité dans les crimes contre l’humanité commis par l’Allemagne nazie.

Le parti au pouvoir ne veut voir qu’une Pologne victime des nazis

Si ce malheureux raccourci - employé par Barack Obama lui-même dans un discours d’hommage à un officier polonais en mai 2012 - a le don d’exaspérer, voire de scandaliser les Polonais, justifiait-il pour autant le vote d’une loi ?

Tandis que nombre d’historiens réputés, polonais et étrangers, plaident pour la nécessité d’éduquer plutôt que de réprimer, ils s’inquiètent aussi d’une démarche criminalisant le simple fait de mener des recherches n’allant pas dans le sens de l’image de la Pologne.

Une image brossée par le pouvoir en place, exclusivement martyre et victime des nazis. Le parti ultra-conservateur et nationaliste « Droit et Justice » (PiS) martèle en effet que les exactions perpétrées contre les juifs par leurs compatriotes polonais pendant la seconde guerre mondiale étaient un phénomène marginal, préférant mettre en avant les 6 700 Justes parmi les nations reconnus par Yad Vashem.

Derrière le " vertueux souci " mis en avant par le PiS, au pouvoir à Varsovie depuis 2015, les historiens pointent une réelle menace sur la liberté de la recherche académique.

Ainsi, « le plus important dans cette loi, ce n’est pas le paragraphe sur les " camps de la mort ", mais celui qui vient après », estime l’historien polono-canadien Jan Grabowski, voué aux gémonies par le PiS pour ses recherches et ses écrits.

Il vise " ceux qui, publiquement et contre les faits, décrivent la nation polonaise ou l’État polonais comme responsable ou complice des crimes nazis commis sous le Troisième Reich [...] d’autres crimes qui constituent des crimes contre la paix, l’humanité, ou des crimes de guerre ".

Selon cet article, poursuit Grabowski, " les historiens, journalistes ou enseignants qui évoqueront publiquement la responsabilité ou la co-responsabilité d’une partie de la société polonaise dans la Shoah pourront être poursuivis et condamnés jusqu’à trois ans de prison. L’objectif, c’est de paralyser les recherches [non pénalisées en revanche par la loi] sur les aspects sombres de l’histoire polonaise en ce qui concerne l’extermination du peuple juif polonais ".

A l’instar d’un autre historien polonais émigré, Jan Gross, auteur des " Voisins ", le fameux livre sur le massacre de Jedwabne de juillet 1941, Jan Grabowski sait de quoi il parle. Tous deux ont subi d’importantes attaques des milieux ultra-nationalistes polonais, mais aussi des plus hautes instances du PiS, pour leurs travaux sur l’antisémitisme en Pologne.

La loi, qui a provoqué l’ire de Washington et des autorités israéliennes, qui ont multiplié les déclarations outrées, doit encore être signée par le président polonais, Andrzej Duda, pour être promulguée.

Anne Dastakian

Marianne

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