Les fils maudits d’un chef du Hamas
Les fils maudits d’un chef du Hamas
Le Seikh Hassan Youssef est cofondateur du Hamas. - ABBAS MOMANI / AFP
Décidément, le Seikh Hassan Youssef n’a pas de chance avec ses fils. Cet islamiste palestinien cofondateur du " Hamas " vit un drame familial aux accents shakespeariens.
Qu’on en juge : un de ses rejetons, Mosab, surnommé le « Prince vert », couleur de l’Islam, a servi pendant dix ans de " taupe " pour le compte du « Shin Beth », le service de sécurité intérieure israélien.
Avec cette trahison, il pensait avoir " bu le calice " - ou plutôt la honte - jusqu’à la lie. Il se trompait. C’est désormais au tour d’un deuxième de ses six fils, Suheib (38 ans), de lui asséner un nouveau " coup de couteau dans le dos ".
Il vient, en effet, de commettre l’irréparable en accordant une interview à la « 12 », une chaîne de télévision israélienne, dans la laquelle il dresse un réquisitoire implacable contre le " Hamas " dont il était un des cadres.
Le mouvement islamique, qui exerce un pouvoir sans partage depuis 12 ans dans la « bande de Gaza », est accusé de corruption et d’espionnage à l’encontre de « l’Autorité palestinienne » à Ramallah, en Cisjordanie, présidée par Mahmoud Abbas, le " frère ennemi " du " Hamas ".
Sa conclusion est sans appel : « Le Hamas est une organisation raciste et terroriste qui met en danger le peuple palestinien ».
Il sait de quoi il parle.
Pendant plusieurs années, il a bénéficié d’un traitement de faveur réservé au « fils de » de la nomenklatura du " Hamas ", avant de tout déballer :
« J’ai vu des dirigeants du " Hamas " se payer des repas de luxe en Turquie avec des plats à 200 dollars l’unité, alors que des familles de Gaza survivent avec moitié moins pendant un mois ».
« Ils résident dans des hôtels ou des tours de luxe, envoient leurs enfants dans des écoles privées et empochent de gros salaires de 4 000 à 5 000 dollars par mois, le tout avec des gardes du corps, des piscines, des country clubs », s’indigne-t-il.
Un niveau de vie à des " années-lumière " de l’immense majorité des deux millions de Palestiniens de la « bande de Gaza », où le taux de chômage culmine à plus de 50 %, tandis que les habitants n’ont souvent que quelques heures d’électricité et un accès à une eau de moins en moins potable, au point que l’ONU évoque le spectre d’une catastrophe humanitaire.
Le " Hamas " qui renseigne l’Iran
« J’ai grandi au sein du " Hamas ". J’ai travaillé pour le " Hamas " mais après ce que j’ai découvert, j’ai compris. J’ai coupé les ponts », s’insurge Suheib.
Il est conscient des risques qu’il prend pour avoir ainsi brisé l’omerta.
« S’ils veulent faire de moi un martyr, je serai un martyr ». Un scénario tout à fait possible car il a également étalé au grand jour une question embarrassante aussi bien pour ses anciens mentors que pour la Turquie et l’Iran :
« Le " Hamas " gère en secret un service de sécurité en Turquie qui lui sert à des écoutes de pays de la région et des dirigeants à Ramallah », autrement dit de Mahmoud Abbas et ses proches.
Il a également révélé que ces « grandes oreilles » étaient également dirigées contre des responsables israéliens. Mais, sans doute par prudence, il s’est refusé à en dire davantage.
Selon lui, le " Hamas " transmet ensuite les renseignements ainsi recueillis à l’Iran qui, en échange, lui accorde une « assistance financière ».
Bref, ces confessions ont tout d’un dangereux brûlot.
Résultat, le " Hamas " a tenté d’allumer un " contre-feu médiatique ". Une manifestation de soutien au père trahi par les siens et qui a passé un tiers de sa vie dans des prisons israéliennes a été organisée à son domicile de Bitounia, près de Ramallah, au cri de « Nous aimons Hassan Youssef ».
Des hommes masqués et armés de la branche militaire du " Hamas " ont posé à Gaza devant un poster avec sa photo agrémentée des deux icônes incontournables : le drapeau vert et la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem, le troisième lieu saint de l’Islam.
Ismail Haniyeh, le chef politique, s’est même fendu d’un coup de téléphone à l’épouse de Hassan Youssef, histoire de lui apporter son réconfort.
Des sympathisants islamistes ont inondé les « réseaux sociaux » de messages de soutien. La priorité est de sauver le soldat Hassan Youssef en agitant le très classique thème du « complot sioniste visant à détruire le Hamas ».
Mais ces réactions reflètent surtout un profond malaise vis-à-vis d’une figure emblématique de l’organisation, qui a de plus en plus de mal à expliquer à la population que le strict blocus imposé par Israël sur la « bande de Gaza » est l’unique responsable de la misère de la population et surtout que la gestion, le népotisme et la stratégie de la tension adoptée par le " Hamas ", n’y sont pour rien.
Sur le plan personnel, c’est un coup très dur pour Hassan Youssef, qui a déjà beaucoup de mal à encaisser la défection de son premier fils réfugié aux Etats-Unis, où il s’est converti au « protestantisme ».
Mossab s’est, en effet, vanté d’avoir fait échouer des dizaines " d’attentats-suicides " anti-israéliens, y compris un projet d’assassinat de Shimon Peres et d’avoir ainsi fait arrêter des cadres clandestins du mouvement.
Julien Lacorie
Marianne