" L’industrie hospitalière " en France ou le prix de la vie

, par  DMigneau , popularité : 0%

" L’industrie hospitalière " en France ou le prix de la vie

La récente prise de conscience collective de l’importance des métiers qui consistent en la capacité à sauver des vies ou à prendre soin d’autrui sera-t-elle enfin reconnue ?

Pourra-t-elle émerger dans le discours, l’action politique et l’espace public qui semblent ignorer le souci de l’autre inhérent à une éthique du " care ", du prendre soin ?

Il semblerait que nos « soignants » depuis un certain temps refusent ce modèle « libéral » poussé à l’extrême dans lequel l’activité hospitalière est contrainte de rentabiliser les CHU en accélérant les flux de la " chaine de soins " en développant à grande échelle le mode " ambulatoire ".

Il semblerait que nos « soignants » refusent les calculs sur le " prix d’une vie " en comparaison de " l’espérance de vie " supplémentaire apportée, le recouvrement de la santé n’étant en aucune façon un " produit fini ".

Il apparaît déplacé, voire incongru de vouloir calquer le « monde hospitalier » sur le monde industriel.

Le plan gouvernemental " Ségur de la Santé "

Il est regrettable que cette opération lancée par le Ministre Olivier Veran au cours de l’été 2020 n’ait pas connu le " choc d’attractivité " espéré malgré quelques " revalorisation salariales ".

Le ministère de la Santé n’a manifestement pas pris en compte la magistrale critique de l’injonction visant à transformer « l’Hôpital public » historiquement en charge de patients à réparer, en hôpital de flux ; la vitesse et la rentabilité étant désormais mises au service de la " chaine de soins ".

A ce propos, il convient de lire le court essai du neurochirurgien Stéphane Velut : " L’Hôpital, une nouvelle industrie ", Tracts Ga" llimard, 2020.

Le ministère de la Santé s’en est tenue à la révision des rémunérations sans aborder la crise d’attractivité observée dans de nombreux métiers.

Pour exemple, en 2020, un infirmier hospitalier gagne 5 % de moins que les autres « actifs », à comparer aux 14 % de plus de la moyenne des pays de l’OCDE.

La " revalorisation " n’a été que de 183 Euros mensuels. On observe aussi quelque 30 % de postes vacants de praticiens hospitaliers conduisant à la fermeture de services d’urgence sur l’ensemble du territoire, ceux encore ouverts sont saturés et ne répondent plus à leur mission première, de nombreux blocs opératoires restent fermés.

Les « sages-femmes » exerçant un métier d’une grande technicité demeurent les invisibles du « Système de soins », reléguées dans l’inconscient collectif au rôle d’infirmières spécialisées, assistant le gynécologue obstétricien.

Les ratios de « sages-femmes » n’ont pas augmenté depuis l’année 1998 alors qu’elles sont de plus en plus sollicitées pour les urgences hospitalières et l’accompagnement des naissances.

Dans la cité phocéenne, 3ème CHU de France, la situation de l’HP-HP liée à une succession de plans réalisés en vue de " faire des économies " devient très préoccupante en termes de postes vacants à pourvoir.

Quelles sont les évolutions souhaitables du paysage hospitalier français ?

Au moment où les dépenses de santé s’accroissent dans tous les pays développés en raison :

- du vieillissement de la population ( démographie),

- de la crise sanitaire liée au " Covid 19 " ( épidémiologie )

- des progrès techniques et des innovations médicales ( IA, imagerie radiologique )

qu’en est-il de la France ?

Depuis la révision de la constitution en 1996, les gouvernements successifs poursuivent une politique de rationnement des soins hospitaliers au travers de « Lois de financement de la Sécurité Sociale ».

C’est ainsi que depuis peu, on assiste à un rationnement de l’offre de soins quantifié par la DREES par une augmentation de 1,7 % du nombre de places en hospitalisation partielle et de 10,8 % en hospitalisation à domicile entre 2019 et 2020 ( Etudes et Résultats, Septembre 2021 ).

L’avant-projet de " Loi de Financement de la Sécurité Sociale " pour 2022 prévoit une augmentation de 0,5 millions d’Euros de dépenses relatives aux établissements de santé, soit 0,53 % très éloignée des 3,4 % nécessaires à couvrir l’augmentation des charges fixes hospitalières.

Nous observons ici que le financement de « l’Hôpital Public » est décorrélé de la réalité des soins.

Avec un budget largement inférieur aux dépenses nécessaires à son fonctionnement, son endettement s’aggrave mécaniquement, ce qui conduit les autorités à diminuer les investissements et à la suppression de personnel et de lits.

C’est ainsi que près de 100 000 lits ont été fermés entre 1993 et 2018 ( Source DREES )... pour des raisons " budgétaires ".

Très récemment, plusieurs organisations syndicales dont " l’Association des médecins urgentistes de France " se sont insurgées sur le manque de lits, la fuite des chirurgiens et des anesthésistes au profit du secteur « privé » après les déprogrammations dues à la " crise sanitaire ".

Enfin dans son rapport annuel sur la « Sécurité Sociale » publié le 5 Octobre 2021, la « Cour des Comptes » nous alerte sur l’accumulation des dettes sociales et prône plus " d’efficience " dans la dépense, en insistant sur le poids pérenne des mesures décidées au titre du " Ségur de la Santé ".

Où l’on peut observer qu’en France le « pouvoir médical » est controlé et affaibli par une haute « fonction publique » dont les seuls objectifs sont de diminuer coûte que coûte le niveau de l’endettement public par la réduction progressive de la " dette sociale ", en éludant l’ensemble des professionnels du soin et leurs sujets souffrants.

C’est ainsi que face aux conditions actuelles de travail extrêmement dures et aux conditions salariales indécentes des « soignants » du secteur « public », à la perte d’attractivité de l’Hôpital, il convient de remettre en cause notre modèle social du « Système de santé » face à ses carences.

Il convient aussi de préserver la pérennité d’un accès aux soins pour tous, tels que définis dans le programme fondateur de la « Sécurité Sociale » en 1944.

Après la crise sanitaire le poids politique, institutionnel et financier du ministère de la Santé devrait être renforcé en un ministère régalien, avec pour objectif la création d’une société plus solidaire.

Eliane JACQUOT

AgoraVox.fr