Il y a 20 ans décédait Amalia Rodrigues, la « Reine du fado »

, par  DMigneau , popularité : 0%

Il y a 20 ans décédait Amalia Rodrigues, la « Reine du fado »

Difficile d’imaginer le Portugal sans " le fado ". Difficile d’imaginer le fado sans sa plus grande voix. Cela fait 20 ans qu’Amalia Rodrigues, la « Rainha do fado », s’en est allée, emportée dans son sommeil par une défaillance cardiaque. Longtemps après sa mort, l’immense « fadista » au regard brillant et à la voix si expressive est pourtant toujours présente, et pas seulement dans le cœur et la mémoire de ses compatriotes Portugais...

Rien, dans sa jeune enfance, ne distingue de ses huit frères et sœurs la petite Amalia da Piedade Rebordão Rodrigues, née le 23 juillet 1920 à Lisbonne, dans la paroisse de Pena, au cœur de la vieille ville lors d’une visite chez ses grands-parents maternels.

Ce sont eux qui, alors que le petite n’est encore qu’un bébé, la prennent en charge tandis que ses parents sont repartis à Fundão d’où ils étaient venus en quête d’une vie meilleure.

Il se trouve qu’Amalia est dotée d’une si jolie voix qu’elle charme ses proches dès l’âge de 4 ans. Une voix si pure que la gamine est récompensée par les voisines d’une pièce de monnaie ou d’une friandise lorsqu’elle chante l’une de ces chansons que l’on fredonne alors dans les rues de la capitale portugaise.

À dix ans, Amalia chante dans les mariages et les baptêmes où elle est fréquemment appelée à se produire.

À quinze ans, alors qu’elle travaille comme brodeuse et comme ouvrière dans une chocolaterie, la jeune fille est même choisie pour représenter le quartier d’Alcantara lors de la « Marche de Lisbonne », une très populaire fête des saints, ponctuée de chants et de cantiques.

Les mois passent, Amalia chante désormais si bien " le fado " pour les voisins qu’ils en sont, dit-on, émus aux larmes. À tel point qu’un jour, cédant à la pression amicale de l’un d’eux, une tante d’Amalia emmène en secret la jeune fille au " Retiro da Severa " *, le plus célèbre cabaret de fado du Bairro Alto, pour la présenter.

Immédiatement séduits, les responsables du cabaret se rendent à Alcantara et réussissent à convaincre les parents d’Amalia – ils sont définitivement revenus à Lisbonne – que leur fille est d’ores et déjà une grande artiste.

La carrière de celle qui allait devenir « a Rainha de fado » (la Reine du fado) peut commencer. Amalia Rebordão – du nom de la grand-mère qui l’a élevée – est alors âgée de 19 ans.

Nous sommes en 1939.

Après avoir chanté dans différents cabarets et théâtres lisboètes (notamment " Solar de Alegria ", " Cafe Mondego " et " Cafe Luso ") en atteignant progressivement les plus gros cachets qu’ait touché une " fadista ", Amalia entame – désormais sous son propre nom et en alternance avec des prestations au Portugal – une carrière internationale sans précédent pour une artiste portugaise et plus encore pour une chanteuse de " fado " : on l’entend à Casablanca et Madrid en 1942, au Brésil en 1944 et 1945, à Paris et à Londres en 1949, à Berlin et Rome en 1950, à New York en 1952, au Mexique en 1953.

Entre temps (1947), Amalia a fait ses débuts au cinéma dans " Capas Negras " d’Armando Miranda. Élu " meilleur film portugais " de l’année, cet hymne à la belle ville de Coimbra propulse la jeune femme au rang de star dans son pays.

En 1954, appelée par Henri Verneuil, elle récidive au cinéma dans " Les Amants du Tage " où elle donne la réplique à Daniel Gélin. Le succès du film et la première apparition d’Amalia Rodrigues à " l’Olympia " confèrent à la jeune femme une énorme notoriété dans notre pays.

Censurée par « la Révolution »

Dès lors, Amalia revient souvent chanter en France pour de longues tournées en province et des récitals à Paris (" Olympia ", " Bobino ", " ABC "), plébiscités par le public français et une communauté portugaise en forte augmentation.

Demandée dans le monde entier, la chanteuse effectue également de nombreuses tournées en Espagne et en Italie, mais aussi au Brésil, au Mexique, en Australie, au Japon, en Russie ou aux États-Unis.

Amalia est adulée par un public de plus en plus large, séduit par cette très belle femme, tout de noir vêtue et coiffée d’un châle. Séduit surtout par la voix chaleureuse qu’elle met au service de " lamentos " nostalgiques et de mélodies ensoleillées, à l’image du titre favori des Français, " La petite maison sur le port ", adaptation du superbe " Vou Dar de Beber a Dor ", sorti en 1968 dans une Europe en pleine mutation.

Avril 1974.

La « Révolution des Œillets » met à mal Amalia Rodrigues.

On lui reproche sa complaisance envers le dictateur Salazar. Elle est boycottée et ses " fados " interdits d’antenne. Une mesure en l’occurrence injuste : l’artiste n’a fait que son métier, rien de plus.

La censure portugaise n’empêche toutefois pas Amalia de poursuivre sa carrière internationale, notamment en France où elle retrouve avec plaisir son ami Bruno Coquatrix à l’Olympia, et où elle enregistre de nombreux titres, notamment composés par un autre de ses amis, Alain Oulman.

Il faut toutefois attendre plusieurs années pour que l’ostracisme dont Amalia est victime dans son pays soit enfin levé sous la pression des intellectuels portugais.

La chanteuse fait alors un retour triomphal au " Coliseu " de Lisbonne en 1985.

Cinq ans plus tard, en 1990, elle est décorée par le Premier ministre Mário Soares. Une décoration qui s’ajoute aux nombreuses distinctions dont elle a été l’objet, notamment en France, de la part de Jack Lang, François Mitterrand ou Jacques Chirac.

Amalia Rodrigues arrête de chanter en 1994, mais l’engouement pour sa carrière et la place prépondérante qu’elle a donnée dans son répertoire aux poètes de son pays restent tel au Portugal qu’elle est régulièrement l’invitée d’honneur de manifestations culturelles de premier plan.

Lorsqu’elle décède dans sa maison de Lisbonne, le 6 octobre 1999, l’émotion est immense ; trois jours de deuil sont décrétés par le gouvernement portugais, en totale communion avec un peuple littéralement assommé par la disparition de son idole, cette immense artiste qui a fait connaître " le fado " sur les cinq continents.

En juillet 2001, les cendres de la plus grande " fadista " ** de l’Histoire sont transférées dans le Panthéon national.

Elle est la seule femme à y être inhumée.

30 millions d’albums d’Amalia Rodrigues ont été diffusés dans une trentaine de pays sur la planète. Comme tant d’admirateurs de cette grande dame, je dispose moi-même de quelques enregistrements.

Chaque début d’octobre, j’écoute du " fado ", en hommage à Amalia. Et le temps d’un bon vieux vinyle, je suis moi aussi " fadista " comme l’affirme cet " azulejo " apposé dans le quartier d’Alfama sur un mur de la taverne " A Baiuca " : « E tão fadista quem canta como quem sabe escutar *** ».

Muito obrigado a você, Amalia !

Fergus

AgoraVox

Notes :

* Le nom de ce cabaret, aujourd’hui disparu, rendait hommage à Maria Severa, une prostituée du quartier de Mouraria. Elle fut, aux alentours de 1830, la première chanteuse de " fado ". L’idylle de Maria Severa avec l’excentrique Comte de Vimosio servit de thème au premier film parlant portugais, " A Severa ", réalisé par José Leitào de Barros en 1931.

** D’autres artistes ont marqué l’Histoire du " fado ", notamment Alfredo Duarte, Maria Alice, Joaquim Pimentel, Hermínia Silva, Fernando da Silva ou Maria da Fé. De nos jours, ce sont surtout des chanteuses qui tiennent la vedette, telles Misía, Mariza, Cristina Branco ou Katia Guerrero.

*** Celui qui sait écouter est tout aussi " fadista " que celui qui chante.