Hommage à Poitiers : Joël Robuchon ou l’exigence de l’excellence
Hommage à Poitiers : Joël Robuchon ou l’exigence de l’excellence
Joël Robuchon ici en 2016. - Leemage
De grandes " toques " françaises et étrangères sont attendues ce 17 août à Poitiers pour rendre hommage à Joël Robuchon qui s’est éteint le 6 août dernier. Notre collaborateur Périco Légasse nous parle de ce " polytechnicien de la cuisine ".
Après le patriarche vénéré, voici que nous quitte le " premier de cordée ". L’année 2018 voit la cuisine française perdre deux de ses princes.
Paul Bocuse en janvier et Joël Robuchon en août.
Fatalité du destin dont l’ampleur médiatique révèle l’importance culturelle et sociale acquise dans ce pays, et dans le monde, par le phénomène culinaire. Ni Auguste Escoffier, ni Fernand Point, autres monstres sacrés du fourneau, disparus en 1935 et en 1955, n’avaient connu une telle gloire à leur décès.
Signe des temps, le renom professionnel du Lyonnais et du Poitevin portait haut les couleurs de la France en une période où l’image de notre pays semble parfois ternie à l’étranger.
Intouchables, " iconisés ", Bocuse et Robuchon préservaient l’une des rares suprématies françaises à ne pas redouter la concurrence internationale.
Non qu’il n’y ait pas d’immenses cuisiniers à l’étranger, et autant de fabuleux restaurants tout autour de la planète, dans des proportions jamais vues, mais des Bocuse et des Robuchon, il n’y en a qu’en France.
Si Paul Bocuse a porté soixante années durant les couleurs de la cuisine classique, la toque saturée d’auréoles - alors que, paradoxe de l’époque, ce genre-là ayant tout simplement disparu des cartes et menus de France, « l’Auberge du Pont de Collonges » est la dernière maison où on la prépare encore dans les règles du rite " escoffien " - Joël Robuchon incarnait la performance permanente dans le savoir faire contemporain en poussant toujours plus la précision dans la technicité de ses recettes.
Polytechnicien de la cuisine
Sans tomber dans la comparaison facile, on pourrait parler d’un " polytechnicien de la cuisine " avec en prime cette rigueur morale liée au compagnonnage dans l’exigence de l’excellence.
Un engagement de compagnon que Joël Robuchon ne dissociait pas de son appartenance à la GLMF, les règles de l’obédience maçonnique confortant les valeurs professionnelles auxquelles il était très attaché.
Robuchon vivait la cuisine comme une vocation. Ancien séminariste, il était entré " en sacerdoce " au moment de son apprentissage et ne cessera d’établir des corrélations entre son métier et ses principes philosophiques.
Depuis la tenue vestimentaire de ses équipes et la sienne, marquées par le noir, jusqu’à la rigueur de ses codes, l’austérité de sa personne, Robuchon appliquait une règle quasiment monacale.
Après une pause très relative en 1997, son retour à l’activité fut consacré par l’ouverture de « l’Atelier de Joël Robuchon », à Paris, un restaurant où, comme son nom l’indique, les convives assis le long d’un comptoir entourant l’espace cuisine assistent à la préparation des plats.
Comme un artisan sur son ouvrage pour montrer sa gestuelle et l’usage des matières.
Rien à cacher, au contraire, la beauté de ce métier étant également dans la démonstration des protocoles.
N’y voyons là aucun chauvinisme déplacé ou un excès de " franchouillardise ", ce sont les plus célèbres chefs étrangers eux-mêmes qui l’affirment : la France reste la référence absolue en termes de patrimoine culinaire.
Joël Robuchon était l’un des symboles vivants de ce prestige.
Admiratif de tous les talents, attentif à toutes les évolutions, féru de techniques nouvelles, toujours à la pointe de la réflexion gustative, Joël Robuchon n’en fut pas moins toujours méfiant envers les " apprentis sorciers " et " alchimistes alimentaires ".
La simplicité était pour lui le comble de la difficulté car indissociable de la perfection.
Bon élève de Jean Delaveyne à Bougival et disciple de Charles Barrier à Tours, il mit toute sa ferveur au service du goût le plus juste en plaçant le produit au cœur de la cuisine.
Il hissa cette conscience au rang d’éthique pour que le cuisinier soit toujours à l’écoute du produit. La nature de la denrée, son origine, la tradition de culture ou d’élevage lui ayant donné son caractère étaient pour lui les bases de sa démarche professionnelle car l’essentiel était de restituer l’authenticité d’une saveur.
Ainsi était-il chez lui partout, autant en Espagne qu’au Japon, en Italie ou au Maroc puisque ces pays disposent d’une tradition alimentaire fondée sur l’identité du produit.
Il restera comme celui qui aura dévoilé, avec Paul Bocuse, Michel Guérard et Alain Ducasse, l’universalité de la cuisine française en tant que façon de valoriser tout patrimoine agricole et marin quel que soit le lieu.
La notion de terroir étant une réalité planétaire, partout où un « chef français » se trouve il est à même de faire la cuisine avec les aliments de l’endroit.
Quantité et qualité
Par ailleurs, Joël Robuchon est le chef qui a poussé le plus loin la rencontre entre la rigueur culinaire et l’industrie agroalimentaire.
Ainsi la gamme des produits " Fleury Michon " portant sa signature, notamment le parmentier de canard, est la preuve que l’on peut associer précision gustative et production à grande échelle, c’est-à-dire " quantité " et " qualité ".
Ceux qui ont appris, voyagé et œuvré à ses côtés n’oublieront jamais l’intransigeance du personnage et la sévérité avec laquelle il jugeait le contenu d’une assiette.
Pas plus que l’artisan ne doit faillir sur son œuvre, pas plus l’ouvrier ne doit manquer son geste, pas plus l’apprenti ne doit négliger l’enseignement du maître, le cuisinier ne peut - selon lui - laisser passer un plat trahissant ses valeurs.
Ce message, celui qui fut le plus récompensé en honneurs, l’aura porté durant quarante années autour du monde et le portera encore.
Joël Robuchon ne laisse pas d’empire derrière lui, ni même d’école, mais a contribué à porter la cuisine au rang des arts majeurs caractérisant le génie français.
En ce sens, il a bien mérité de la patrie.
Périco Légasse
Marianne