Hausse de la valeur du point d’indice... et des inégalités
Hausse de la valeur du point d’indice... et des inégalités
La hausse de la valeur du " point d’indice " semble dorénavant faire consensus et être devenue une nécessité pour lutter contre les effets de la hausse de l’inflation. Ne resterait plus qu’à débattre du taux de l’augmentation - 3,5 % ou 10 % ? - et de la date de mise en œuvre (juillet ou janvier ?). Et se demander si cette hausse est réellement une mesure de justice sociale ?
Lors des dernières présidentielles et législatives, faire face à la hausse des prix de l’énergie et de la baisse du " pouvoir d’achat " est devenu un thème central de campagne.
Les candidats ont chacun apporté des pistes plus ou moins divergentes, plus ou moins consensuelles.
Les débats qui s’ouvrent lundi à « l’Assemblée » pour déterminer les actions à mener pour préserver le " pouvoir d’achat " des français promettent de longues nuits de discussion et des débats particulièrement houleux...
Pour les fonctionnaires, en revanche, la piste, portée par les différents syndicats de la " Fonction publique " depuis de nombreuses années, a récemment reçu de nombreux soutiens et a même eu un début d’application : la hausse du " point d’indice ".
Les syndicats et la " NUPES " réclamaient une hausse de 10 %, Macron a accordé pour l’instant 3,5 % d’augmentation, applicable au 1er juillet.
Le SNES, principal syndicat des enseignants, a réagit dans un communiqué après l’annonce de cette hausse de 3,5 % en indiquant : " Après un quinquennat entier qui s’est acharné à maintenir le point gelé, cette augmentation ne saurait compenser les pertes ni réparer les conséquences lourdes pour les conditions de vie d’un grand nombre de personnels, en particulier les bas salaires et les plus précaires. La situation [...] appelle pourtant une mesure d’une toute autre ampleur, avec une revalorisation d’urgence immédiate de 10 % au moins pour préserver les conditions de vie de tou-tes les agent-es publics [...]." (communiqué du SNES)
Mais à qui profite une hausse du " point d’indice " ?
Cette hausse du " point d’indice " va t-elle bénéficier malgré tout aux plus " bas salaires et aux plus précaires " ?
Chaque fonctionnaire se voit attribuer un " indice " (indice majoré), défini dans une grille, dépendant de sa catégorie, de son grade et de son échelon lui même dépendant de l’ancienneté (cf détail des grilles de la " Fonction publique ").
Cet " indice " multiplié par ce fameux " point d’indice " déterminera le salaire brut de base de l’agent.
Jusqu’en juin, la valeur du point était fixée à 4,68602 €. Elle s’établit depuis la hausse de 3,5 % à 4,85003 €. Peuvent ensuite s’ajouter à ce traitement de base différentes " variables de paie " telles que des indemnités, le " régime indemnitaire " (ensemble de primes), les heures supplémentaires, ... qui pour certaines d’entre elles seront proportionnelles à ce traitement de base.
Après déduction des cotisations salariales (environ 20 % du salaire brut), on obtient le " salaire net ". Ces " variables de paies " peuvent être source d’importantes disparités de traitement entre les différentes filières ou administrations.
Mais il s’agit d’un autre sujet...
Voilà pour la théorie, voyons maintenant ce que cette hausse donnera en pratique pour des cas concrets.
Prenons l’exemple de « l’Education Nationale » (les grilles sont à peu près similaires dans la plupart des autres " Fonctions publiques ", les résultats seront donc à peu près les mêmes) :
Un " prof " en début de carrière (" classe normale ") a un " indice majoré " (IM) de 390. Avec l’ancienne valeur du " point d’indice ", il avait un traitement de base brut de 1 827,55 € (390 x 4,68602), avec la revalorisation de 3,5 %, son traitement de base sera désormais de 1891,51 € (390 x 4,85003), soit un gain de 63,96 € ce qui correspond à peu près à 51 € en net (en comptant 20 % de cotisations salariales).
Un prof " classe normale " en fin de carrière (à partir de sa 26ème année de carrière) a un IM de 673. Il aura lui un gain brut de 110,40 € (88 € net).
Pour un prof " hors classe " en fin de carrière aussi (IM 821), là le gain sera de 134,65 € brut (soit 107 € net)
Pour un inspecteur de « l’Education Nationale », un directeur d’établissement ou un " maître de conférence ", en fin de carrière (IM 830) le gain brut sera de 136,13 € (109 € net).
Pour les mêmes grades, mais considérés " hors classe ", ils toucheront 175 € brut en plus (140 € net).
Voilà, pour les catégories A de « l’Education Nationale » : le prof de début de carrière empochera 51 € de plus sur sa paie de juillet tandis que l’inspecteur " hors classe " verra lui son pécule s’accroître de 140 €, soit presque trois fois plus.
L’écart mensuel entre leur traitement de base passera de 3 172 € à 3 283 €. Et si la revendication d’une hausse de 10 % du " point d’indice " était finalement appliquée, la hausse pour le prof de " début de carrière " serait de 146 € net contre 399 € net pour les inspecteurs " hors classe ".
Avec un écart entre leur traitement qui passerait alors à 3 489 €. Gageons que les inspecteurs auront ces chiffres en tête lorsqu’il s’agira de noter les profs, en particulier ceux qui ont fait les grêves pour cette hausse du " point d’indice "...
Mais dans la " Fonction publique ", il n’y a pas que des agents de catégories A, on trouve aussi et surtout beaucoup d’agents de catégories B et de catégorie C lesquels remplissent plus sûrement les rangs des " plus bas salaires et des plus précaires " que les agents de catégorie A.
Le calcul des rémunérations pour les agents de catégorie C, est un peu différent...
En effet, leur " indice majoré " en début de carrière, selon les filières tourne autour de 340. Cet " indice " multiplié par la valeur du point, jusqu’en juin, donnait un traitement de base inférieur au SMIC.
On a donc inventé un " minimum de traitement " qui est calculé sur la base de l’indice 352. C’est-à-dire que si un agent est à un indice de 340, on le paie comme s’il était à l’indice 352. Et ceci tant que son ancienneté ne lui permet pas d’obtenir au moins 352 d’indice.
Dans la voie " normale " de progression d’indice, il faut, selon les filières entre 4 et 10 ans d’ancienneté pour passer de 340 à 352 points. Ce qui signifie que ce mécanisme bloque les salaires des agents concernés pendant 4 à 10 ans et que les agents ayant déjà mis dix ans pour obtenir ce niveau voient les nouveaux entrants dans la " grande famille " arriver avec le même traitement de base qu’eux...
Il semble que la hausse du " point d’indice " intervenue en juillet ne remette pas en cause ce mécanisme et que le minimum de traitement est toujours fixé à 352 (il est d’ailleurs cocasse de remarquer que si ce mécanisme n’avait pas été maintenu, la hausse de 3,5 %, pour les agents à 340 d’IM, se serait traduite par ... une baisse d’environ 46 centimes de leur traitement brut...).
Pour reparler concret, prenons maintenant l’exemple d’un AESH (" Accompagnant des Elèves en Situation de Handicap "). Son IM en début de carrière est fixé à 343 et en fin de carrière, au bout de 30 ans, à 435. Le " minimum de traitement " fera que son " indice de rémunération " sera de 352 pendant ses 6 premières années de carrière.
Avec la hausse de 3, 5 %, cet AESH bénéficiera d’un " coup de pouce " net entre 46 € et 57 € en fin de carrière. Bien sûr, il ne verra cette hausse spectaculaire sur son bulletin de salaire que s’il a la chance d’être à temps plein. Mais il arrive souvent que ces " accompagnants " ne le soient pas, le plus souvent ils sont à temps partiel à 80 % ou moins.
Leur hausse ne sera plus alors que de 37 € à 45 € net.
Avec l’hypothèse d’une hausse de 10 % de la valeur du " point d’indice ", là, ce serait le " jackpot " pour les " plus précaires " puisque notre AESH à 80 % en début de carrière toucherait alors 106 € net de plus par mois. Sûr qu’il ne cracherait pas dessus mais serait-ce suffisant pour " compenser les pertes [et] réparer les conséquences lourdes pour [s]es conditions de vie " ?
Pour rappel, les agents de catégorie A " hors classe " bénéficieraient - eux - selon cette hypothèse d’une hausse nette de l’ordre de 400 euros (presque 4 fois plus).
Toujours selon l’hypothèse d’une hausse de 10 %, le traitement de base brut (et hors prime) de l’AESH s’établierait à 1 814 € par mois contre 5 499 € mensuel pour le catégorie A " hors classe ".
L’essence et « l’énergie » sont-elle moins chères pour les agents de catégorie C que pour les plus hauts placés de la catégorie A ?
Avec une augmentation significative, mais faible au regard du montant généré, des plus bas revenus et jusqu’à 4 fois plus pour les plus hauts revenus, cette hausse de la valeur du " point d’indice ", si elle ne permet pas de combler pour tout le monde les effets de la hausse de l’inflation, permettra pour sûr d’augmenter les écarts de rémunération à l’intérieur de la " Fonction publique ".
Est-ce vraiment ce qui est souhaité ?
Tij.tij
Blogs.mediapart.fr