En Afghanistan, les femmes se battent pour avoir un nom avec le hashtag " #WhereIsMyName "
En Afghanistan, les femmes se battent pour avoir un nom avec le hashtag " #WhereIsMyName "
Interpeller une femme en public en utilisant son propre nom est considéré comme un affront à l’honneur de sa famille. - Rahmat Gul/AP/SIPA
Des militantes ont lancé une campagne sur les réseaux sociaux invitant les femmes à réaffirmer leur propre identité. Première étape : s’approprier leurs noms à elles, et ne plus être “ la femme ”, “ la mère ” ou “ la soeur ” de quelqu’un.
En Afghanistan, dès qu’une femme sort de chez elle, elle perd son nom. Au lieu de l’appeler par son prénom ou son nom de famille, voire celui de son époux, on la désigne en fonction du " statut " des hommes qui l’entourent.
Une femme, c’est ainsi toujours “ la mère de ”, “ la femme de ” ou encore “ la soeur de ".
Chez le médecin, par exemple, on lui prescrit des médicaments sous le nom du mari afin d’éviter de lui demander le sien.
Lorsqu’elle se marie, on met en avant les noms de son père et du fiancé sur les cartons d’invitation.
Sur les tombeaux, on grave son statut familial et non pas le nom qu’elle porte depuis sa naissance. Car interpeller une femme en public en utilisant ce marqueur identitaire fondamental est considéré comme un affront à l’honneur de sa famille.
Ces pratiques s’inscrivent dans la société patriarcale afghane où l’on accorde peu d’importance à l’individualité des femmes. Mais les choses commencent à bouger. Depuis quelques semaines, comme l’a raconté le " New York Times ", une campagne réclamant l’usage des noms de femmes dans l’arène publique fait le tour des réseaux sociaux.
" #WhereIsMyName "
Lancée par de jeunes militantes, la campagne emploie le hashtag " #WhereIsMyName " - “ Où est mon nom ” - et cherche à faire rentrer les noms des femmes dans les documents officiels ainsi qu’à inciter les femmes à réaffirmer leur propre identité.
“ Les femmes sont considérées comme le deuxième sexe et la propriété des hommes, explique auprès de " Marianne " Bahar Sohaili, 30 ans, écrivaine et militante qui fait partie de la campagne. Nous essayons de prendre en main nos identités et de les libérer ”.
Pour cette militante, il s’agit d’interroger les femmes afghanes sur la question de l’effacement de leur identité, dans ce pays où le nom de la mère n’est même pas indiqué sur les actes de naissance.
« On désigne une femme par rapport à son mari, son frère ou son enfant. Notre pépiniériste me désigne toujours par le nom de mon fils. Il m’appelle " la mère de Samuel ". En public, on nous appelle " celles aux cheveux noirs ", " les faibles " ou " tante ", quel que soit notre âge », poursuit Bahar Sohaili.
Cette culture, qui depuis longtemps relègue la femme au second rang et confie le pouvoir aux hommes, conduit de nombreuses femmes à garder le silence au lieu de dénoncer ces pratiques.
Rien ne leur appartient ; ni leur nom, ni leur corps, ni leurs actions au quotidien…
Une photographe de Kaboul raconte à la " Thomson Reuters Foundation " la perte totale de contrôle des femmes au quotidien : « Quand je leur demande de les interviewer ou de les prendre en photo, elles me disent : " Attendez, je vais demander à mon mari, mon père ou mon frère s’ils me permettent de m’exprimer ou d’être photographiée " », raconte Farzanah Wahidi.
" Il faut inciter le gouvernement à mettre le nom de la mère sur les nouvelles cartes d’identité "
La campagne s’étend sur les réseaux sociaux. Le chanteur afghan Farhad Darya a fait part de son choix de citer les noms des femmes de sa famille lors des concerts, malgré les attitudes favorisant le rôle des hommes, profondément enracinées dans la culture.
“ Souvent, devant une foule avec laquelle je ne partage pas de liens familiaux, je remarque le plissement des fronts des hommes qui me trouvent lâche pour avoir mentionné les noms de ma mère ou de mon épouse, a-t-il écrit sur Facebook. Ils me regardent comme si j’étais le plus grand lâche du monde, comme si je ne connaissais rien sur l’honneur et les traditions afghanes ”.
" Tumulte gênant "
Les militantes souhaitent également mobiliser les acteurs de terrain, notamment au niveau des politiques.
“ Pour entrer dans le débat national, il faut inciter le gouvernement à mettre le nom de la mère sur les nouvelles cartes nationales d’identité électroniques, estime Bahar Sohaili. Ça permettra de briser le tabou qui pèse sur l’usage des noms des femmes. "
Le gouvernement s’est immédiatement montré réticent face à ces nouvelles attentes. Une porte-parole de la Cour suprême à Kaboul a expliqué à la " Thomson Reuters Foundation " que “ les gens de la culture afghane n’étaient pas prêts pour cette étape moderne. Ça pourrait générer un tumulte gênant ”.
Pour l’heure, le “ tumulte ” a seulement envahi les réseaux sociaux.
Jenny Che
Marianne