Élections en Argentine : revers du " péronisme ", dynamique " anti-capitaliste "
Élections en Argentine : revers du " péronisme ", dynamique " anti-capitaliste "
La Izquierda Diario
Ainsi que le laissait prévoir les résultats des « primaires » (PASO) [1] du 12 septembre 2021, le gouvernement " péroniste " de " centre-gauche " n’a pas pu, en dépit de quelques " mesurettes sociales " accordées in extremis, regagner du crédit auprès de sa base sociale populaire et remonter la pente.
Il faut dire qu’en octobre l’inflation s’élevait à 41,8 % en rythme annuel contre un peu plus de 30 % au moment des « primaires » [2] et que 40,6 % de la population vit actuellement sous le « seuil de pauvreté », selon les dernières données de " l’Institut statistique argentin " (INDEC), alors que la pandémie recule à peine avec le retour de l’été austral.
La moitié des député·es, 1/3 des sénateur·ices et nombre de chambre régionales ont donc été renouvelées lors des élections générales partielles du 14 novembre.
Le parti " Frente de Todos " (" Front de tous "), du président " péroniste " de " centre-gauche " Alberto Fernandez recueille 34 % des suffrages, il est largement devancé dans la majorité des provinces par l’opposition de droite (" Juntos por el Cambio ") qui obtient 42 % des suffrages au niveau national et il perd ainsi sa majorité au sein des deux assemblées (parlement et sénat).
Les médias du monde n’ont retenu que ce fait.
Une véritable analyse démontre bien autre chose.
Le fait central de cette élection, dans un pays où le vote est obligatoire, réside dans l’abstention (voir notre tableau).
24 millions de votants en 2021 contre presque 28 millions en 2019. Le gouvernement de Fernandez perd 3 millions de votes du fait de la déception et de l’abstention des couches populaires.
Les vainqueurs de l’opposition de droite perdent également 500 000 votes par rapport aux élections de 2019, au profit du libertarien " bolsanoriste " Javier Milei.
Les partisans de Milei sont toutefois moins présents sur la carte électorale en dehors de la capitale où des listes " régionales " moins marquées à droite ont émergé.
En dépit de cette relative " bonne nouvelle ", personne à gauche en Argentine, pays où a sévi l’une des dictatures militaires les plus sanguinaire, ne sous-estime - ou ne devrait sous-estimer - la percée de ce " fasciste " au cœur de la petite-bourgeoise " porteña " (habitant·es de la capitale Buenos Aires) surtout quand la gauche " anti-capitaliste " ne récupère qu’à peine un tiers des voix manquantes au " centre-gauche ".
Toutefois, la percée de la gauche " anti-capitaliste " est historique car elle touche toutes les provinces du pays avec une moyenne nationale supérieure à 6 % des votes et des scores pouvant aller jusqu’à 25 % dans les territoires les plus pauvres.
Le " FIT-U " (" Front de la Gauche et des Travailleurs "- " Unité "), formé en 2011, obtient ainsi les meilleurs résultats électoraux de son Histoire et devient la troisième force électorale du pays.
Ces résultats inquiètent les patronats locaux et internationaux car ils surviennent après une vague de grèves qui a balayé tout le pays, et pas seulement dans le secteur « public », accompagnée de profonds mouvements populaires contre les entreprises minières qui cherchent à s’installer sur les terres des « peuples premiers », en contradiction des promesses du gouvernement et les traités internationaux.
Avec plus de 6 % et 1,4 millions de votes, ces résultats électoraux du " FIT-U " prennent une importance qualitative inédite grâce à l’entrée d’élu·es de la gauche " anti-capitaliste " dans tous les bastions du " péronisme " en zone urbaine.
Les digues du vieux mouvement " populiste " argentin qui encadrait la classe ouvrière depuis des décennies viennent enfin de commencer à rompre.
Des centaines de milliers de jeunes, de travailleur·ses qui ne supportaient plus les conditions de faim et de misère que le gouvernement " péroniste " du " Front de Tous " imposait dans le pays se sont affranchi·es.
Ils ne veulent plus payer la dette extérieure frauduleuse dont une large partie est héritée de la politique « ultra-libérale » du gouvernement précédent de droite, celui de Macri et engraisser les profits des grands entrepreneurs et firmes extractivistes pollueuses de la " Pacha Mama " (la terre).
Un vote de résistance qui a touché les plus exploités : les amérindiens !
Bien loin des " images d’Épinal " des agences de voyage qui le présentent comme un pays " blanc ", l’Argentine compte sur son territoire trente nations des « peuples premiers », des descendant·es d’esclaves et bien d’autres populations " racisées ", victimes du racisme de l’aristocratie " blanche " qui a profondément structuré les rapports sociaux en Argentine, condamnant le plus souvent les populations " racisées " à l’exploitation et à la misère.
Au fil de l’Histoire, elles ont été massacrées, humiliées culturellement, dépouillées de leurs biens, de leurs terres mais elles existent toujours et, à l’instar de leurs voisines chiliennes, elles sont depuis bien longtemps entrées en résistance.
Que ce soient les " Mapuche " pour récupérer leurs terres ancestrales privatisées au seul profit des grands trusts occidentaux comme les " Benetton " et " Lewis ", ou les " Kollas ", " Quechua " et autres " Toba " qui résistent contre les firmes extractivistes canadiennes ou chinoises qui polluent les terres, les eaux et les sites cultuels.
En 2017, la gendarmerie et les forces préfectorales de Macri ont assassiné Santiago Maldonado et Rafael Nahuel, tout en lançant une campagne raciste pour " diaboliser " les « peuples premiers ».
Ils sont allés jusqu’à inventer des groupes terroristes " Mapuche " pour légitimer la répression, que Fernandez a continuée.
Ceci n’est sans doute pas étranger au fait que les zones fortement peuplées de " Mapuche " dans les provinces de Neuquen ou du Chubut ont voté à plus de 15 % pour le " FIT-U " et les Andin·es de Jujuy à plus de 25 %.
Quand les plus déshérité·es s’emparent de « la Politique » disaient Lénine comme le Che argentin, la situation peut changer très vite.
Simple accord électoral ou mouvement démocratique de masse ?
Pour consolider ces résultats électoraux et avancer vers des solutions " éco-socialistes ", il faudrait bien plus qu’un simple accord électoral entre les 4 partis qui composent le " FIT-U ".
Le " FIT " a été initialement constitué en 2011 par une alliance entre le " Partido Obrero " de Jorge Altamira [3], le " Partido de los Trabajadores Socialistas " [4] et " Izquierda Socialista ".
Ces deux derniers mouvements étant issus du " MAS " créé par Nahuel Moreno à la chute de la dictature. Le " FIT " a été rejoint en 2018 par le " Movimento Socialista de los Trabajadores " [5] suite à une alliance avortée avec le secteur " péroniste " de gauche du cinéaste Solanas.
Ce qui a donné le " FIT-U ".
Au cours des « primaires » de 2021, les 3 anciens du " FIT " étaient en coalition sous la direction du " PTS " et le " MST " concourrait sous ses propres couleurs. Les résultats électoraux furent de 2/3 des voix pour la coalition et un tiers pour le " MST " avec de grosses variantes selon les provinces.
Bien loin de ce simple accord électoral, il faudrait avancer vers un large mouvement unifié et démocratique avec " droit de tendance " de toutes les forces de la gauche " anti-capitaliste ".
Ce nouveau mouvement pourrait alors s’adresser à des franges beaucoup plus grandes de la population " travailleuse " et de la jeunesse et agréger en son sein nombre " d’indépendant·es " et de référent·es de la lutte des classes.
Nous en sommes loin - pour l’instant - et chacune des composantes du " FIT-U " organise ses propres assemblées et manifestations de victoire.
Pourtant, pour massivement rejeter le nouvel accord en gestation avec le FMI, progresser dans l’organisation des quartiers populaires, de la jeunesse et dynamiser les luttes ouvrières, environnementales et " féministes ", la construction d’un grand mouvement unitaire s’impose.
Sylvain CHARDON
Contretemps.eu
Notes :
[1] Les « primaires » (PASO, " Primarias Abiertas Simultáneas Obligatorias ") sont un système officiel de vote organisé par les pouvoirs publics où la participation est obligatoire comme pour les élections officielles même si le taux de participation y est légèrement inférieur.
Tous les partis ou coalitions qui veulent participer à ces élections se doivent de participer à ces « primaires » qui écartent de la compétition toutes les listes ne recueillant pas plus de 1,5 % des voix.
Elles servent également à départager différentes orientations et concurrents au sein même des partis ou " fronts " qui y concourent pour déterminer la place sur les listes finales ou la rotation des élus.
Ce qui était particulièrement crucial au sein du " FIT-U " où deux lignes cohabitent.
[2] Voir notre article in " Contretemps " du 25 septembre.
[3] Affilié un court temps dans les années 70 au courant " Lambertiste ". Indépendant depuis. Son vieux dirigeant, Altamira a " scissionné " le PO en 2019 mais n’a pas pu passer le barrage des « primaires » en 2021 sous le sigle " Palabra Obrera ".
[4] Parti qui a créé la " Fraction Trotskyste Internationale " (4ème Internationale) dont se revendique " Révolution Permanente " en France.
[5] Le MST se revendique toujours de l’expérience " large " du MAS et de Nahuel Moreno. Il a été en contact avec la " 4ème internationale " (SU) ces dernières années avant de se lancer dans une nouvelle internationale " non définie ".