" Du jamais vu " : pénurie de médecins remplaçants, pas de vacances pour les généralistes
" Du jamais vu " : pénurie de médecins remplaçants, pas de vacances pour les généralistes
Une pénurie de médecins remplaçants s’annonce cet été. Georges Gonon-Guillermas / Hans Lucas via AFP
Partout en France, médecins " généralistes " et infirmiers " libéraux " peinent à trouver des remplaçants pour leurs vacances, accaparés par les « Centres de vaccination ». Un problème de " démographie médicale " exacerbé par les besoins liés à la crise sanitaire.
Luc Duquesnel espérait prendre trois semaines de vacances cet été, pour souffler, ne plus entendre parler du " Covid " et de vaccin…
Le médecin " généraliste " de Mayenne n’a pas pris de vacances depuis août 2020.
" Physiquement et psychologiquement, ça commence à être difficile pour tout le monde ", souffle le président de la branche " généralistes " de la « Confédération des Syndicats Médicaux Français » (CSMF). Mais faute de remplaçant pour prendre en charge sa " patientèle " en son absence, Luc Duquesnel doit renoncer à une semaine.
" Dans ma maison de santé nous sommes huit généralistes. Aucun de nous n’a trouvé de remplaçant pour l’été, c’est du jamais vu ", signale-t-il.
À huit, Luc Duquesnel et ses collègues vont pouvoir se débrouiller pour se remplacer mutuellement, considérant qu’ils acceptent tous une surcharge de travail… Mais pour d’autres médecins, installés seuls dans des zones plus reculées, la tâche s’annonce plus ardue.
" Certains vont être obligés de fermer pour pouvoir se reposer , opine Agathe Lechevalier, " généraliste " à Saint-Lys en Haute-Garonne et présidente du « Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants » (ReAGJIR). Il va y avoir une rupture dans la continuité des soins et possiblement un afflux de leurs patients aux urgences. "
Crainte d’une rupture dans l’accès aux soins
Les infirmiers " libéraux " partagent le même constat. À Lyon, Alexandre Froissard, " secrétaire général " du « Conseil départemental de l’ordre des infirmiers » du Rhône, galère lui aussi à trouver un remplaçant pour ses vacances et celles de sa collaboratrice.
" Un cabinet d’infirmiers libéraux ne peut pas fermer, ça fonctionne toute l’année. On ne peut pas dire à des patients qui ont besoin d’avoir des soins quotidiens que l’on ferme ".
Pour pallier la pénurie de remplaçants, l’infirmier adopte la même stratégie que Luc Duquesnel : des remplacements mutuels et donc une surcharge d’activité pour s’accorder une semaine de repos.
D’année en année, la difficulté de trouver un médecin remplaçant pour la période estivale se fait plus grande.
" En France, pour 218 000 médecins en activité totale, il y a 6 000 remplaçants ", souligne Agathe Lechevalier citant le denier recensement de " l’Atlas de la démographie médicale " du « Conseil national de l’Ordre des médecins ». Mais cette année, les praticiens installés aux quatre coins de la France s’accordent pour dire que le recrutement est particulièrement complexe.
En cause, l’accaparement par les " centres de vaccination " des toubibs remplaçants, qui proposent notamment une rémunération plus attractive. 420 euros la vacation pour une demi-journée de labeur en semaine (460 euros les week-ends et jours fériés), contre environ 500 euros la journée complète en cabinet.
Accaparés par les " centres de vaccination "
D’autant que le travail en " centre de vaccination " présente d’autres avantages pour des médecins remplaçants. Selon Laure Dominjon, elle-même remplaçante en " Centre de santé " à Alfortville dans le Val-de-Marne, " la charge de travail est moins importante et les horaires sont fixes. Et travailler en centre de vaccination rapproche parfois du lieu d’habitation ".
Ce qui n’est pas forcément le cas en situation de remplacement.
Déployée sur un " Centre de vaccination " depuis le mois de février, Laure Dominjon a choisi de privilégier le travail en cabinet pour cet été.
" Je préfère assurer une permanence des soins et un suivi pour les patients, argue-t-elle. Mais il ne faut pas jeter la pierre aux collègues qui choisissent les centres de vaccination, car on était venus les chercher l’hiver dernier pour les faire fonctionner. C’est une situation insoluble, les remplaçants ne peuvent pas être partout à la fois. »
Problème de " démographie médicale "
Exacerbé par les besoins de la crise sanitaire, le manque de remplaçants est pointé du doigt par les professionnels.
" La vaccination met le système en tension, mais il y a un réel problème de démographie médicale, en partie lié au fait que l’on ne forme pas assez de médecins ", explique Agathe Lechevalier.
" On pense encore que la réponse à la baisse de la démographie médicale, c’est de faire installer des remplaçants dans les zones peu dotés… ".
Déshabiller Pierre pour habiller Jacques, en somme.
Hélas, les " généralistes " remplaçants ne sont pas les seuls soignants à se raréfier. Dans les centres hospitaliers de villes moyennes comme Laval (50 000 habitants), les services d’urgences ferment leurs portes la nuit par manque de médecins " urgentistes ", d’infirmiers et d’aide soignants en période estivale.
Impossible de se rendre aux « Urgences » la nuit entre 18 h 30 et 8 h 30, sauf pour les urgences vitales.
" Tout le reste va être délesté sur la médecine de ville, c’est comme ça qu’on s’est organisé pour que les gens aient quand même accès aux soins ", se désole Luc Duquesnel, qui fait partie de ceux qui tiennent encore " à bout de bras " un système de santé en pleine déliquescence.
Célia CUOEDIFEDE
Marianne.fr