De nombreuses questions après la rude attaque terroriste à Ouagadougou
De nombreuses questions après la rude attaque terroriste à Ouagadougou
On en sait un peu plus sur ce qui s’est passé à Ouagadougou le 2 mars 2018. L’attaque qui visait l’ambassade de France et l’État-major militaire a été revendiquée. Les forces de défense et de sécurité burkinabè ont semblé plus aguerries. D’autres graves questions restent pourtant en suspens.
Deux attaques simultanées
C’est vers 10h00 heure locale - 12h00 heure française, vendredi 2 mars - qu’ont commencé les attaques, simultanément à l’ambassade de France et à l’État-major de l’armée.
Les FDS (" forces de défense et de sécurité ") interviennent rapidement rejoint plus tard par les « forces spéciales françaises » qui déposent des hommes près de l’ambassade. Officiellement, les forces françaises sont venues " en soutien ", mais il semble bien que la neutralisation des assaillants a été essentiellement due aux FDS qui sont apparues plus efficaces et mieux organisées que lors des précédentes attaques à Ouagadougou.
De véritables scènes de guerre se sont déroulé à l’Etat-major général de l’armée, situé en plein centre-ville. Les terroristes ont fait sauter une voiture bourrée de puissants explosifs entrainant de nombreux dégâts.
Les assaillants étaient noirs. Plusieurs témoins en ont entendu certains parler « le Moré », la langue des « Mossis », l’ethnie la plus importante du Burkina. Le dernier bilan fait état de 7 morts parmi les FDS et 9 parmi les assaillants, alors qu’on fait état d’un ou deux terroristes interpellés selon les sources.
On peut s’étonner des premières informations reprises par l’ensemble des médias français faisant état de 28 morts « de sources sécuritaires », qui ont mis bien du temps à rectifier malgré les démentis des officiels burkinabè.
L’attentat a été revendiqué par « Le Jnim », « Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin » - ou, en français, le GSIM pour « Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans » - dirigé par Iyad Ag Ghali, âgé de 60 ans, considéré comme l’un des plus puissants chefs terroristes du Sahara.
Par un message parvenu à l’agence mauritanienne " Al Akhbar ", ce groupe déclare avoir agi « en réponse à la mort de plusieurs de ses dirigeants dans un raid de l’armée française dans le nord du Mali il y a deux semaines ».
Selon le site " http://www.opex360.com " qui cite des sources militaires, ce raid effectué les 13 et 14 février « a visé plus particulièrement le groupe jihadiste " Ansar Dine " qui, dirigé par Ilyad Ag Ghaly, fait partie du " Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin " (" Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans ", GSIM … Vingt-trois terroristes, dont des chefs d’ " Ansar Dine " ainsi que d’ "Al Mourabitoune ", connus pour leurs exactions à l’encontre de la population malienne, ont été tués ou capturés dans cette opération »
On apprenait ce week-end que des hommes armés avaient de nouveau tenté de forcer un barrage ce dimanche à vers 4h00 du matin, dans le quartier de la Présidence.
Une situation sanitaire qui se dégrade au Burkina
Si les deux attaques à Ouagadougou, contre le café Cappuccino le 15 janvier 2016 et le café-restaurant hallal " Aziz Istanbul ", le 13 août 2017, ont été largement médiatisées en France, car elles visaient des établissements fréquentés par de nombreux expatriés, c’est le nord du pays qui paye le tribut le plus fort.
Les attaques y sont récurrentes. Des fonctionnaires refusent désormais de rester, rendant impossible de fonctionnement des services de l’État, et les écoles en particulier, les instituteurs étant particulièrement menacés.
Les attaques ont commencé le 4 avril 2015, quelques mois seulement après l’insurrection victorieuse qui a entraîné la fuite de Blaise Compaoré, exfiltré par l’armée française.
Un bilan global a été établi en mars 2017, par le ministre de la Sécurité, Simon Compaoré, au cours d’un point de presse. A cette date, 70 personnes - civiles et militaires - avaient été tuées lors de différentes attaques, 70 personnes interpellées, et plusieurs otages enlevés.
Le ministre, dénonçait lui-même « Le lourd héritage de l’ancien régime qui avait pactisé avec certains groupes à travers des compromissions ou des compromis pour être à l’abri (trafics illégaux, traitement des rançons des prises d’otages, bases arrières pour certains groupes armés…) », alors qu’il était un des dirigeants de ce même régime, dont il s’était séparé seulement en janvier 2017, soit moins d’un an avant l’insurrection.
Selon lui, différents groupes sont à l’origine de ces attaques. Il cite alors différents groupes : " Aqmi ", " Al Mourabitoun ", " Ansar Dine ", " Front de libération du Macina ", " État islamique " et " Ansaroul Islam " dirigé par le burkinabè Malam Ibrahim Dicko.
Un autre est effectué en novembre 2017 par le ministre des affaires étrangères au cours d’un nouveau point de presse : 80 attaques et 133 morts, 2 000 écoliers ne pouvant suivre les cours.
Un bilan qui dénote une grave aggravation de la situation sécuritaire.
Dans la vidéo ci-dessous le bilan plus récent est encore plus lourd. Nous vous invitons à prendre le temps de la regarder, tant les analyses de cet institut de recherche, dont le siège est à Ouagadougou, semble pertinent.
On remarquera que cette vidéo a été tournée en janvier 2018 soit avant les attaques du 2 mars 2018. Ce qui la rend d’autant plus pertinente. Il s’agit d’une restitution de l’étude intitulée " Réarmer la gouvernance pendant qu’il est encore temps ", soutenue par " Diakonia " et " l’Union européenne " dans le cadre du programme " Présimètre " par le directeur exécutif de l’Institut « FREE Afrik », Ra-Sablga Seydou Ouedraogo.
Gouvernance sécuritaire et défi terroriste au Burkina Faso © FREE Afrik
Un lien avec l’ouverture des putschistes de septembre 2015 ?
Que cette attaque de déroule quelques jours après l’ouverture le 27 février, du procès des putschistes de septembre 2015 pose question.
(voir sur ce procès https://blogs.mediapart.fr/brunojaffre/blog/010318/manoeuvres-des-l-ouverture-du-proces-du-putsch-de-septembre-2015-au-burkina).
La conséquence immédiate c’est que le procès va tarder à reprendre alors que sa suspension était due à des questions techniques, tenant à la composition du Tribunal, qui auraient pu être réglées en quelques jours.
Les deux principaux accusés ne sont autres que Gilbert Diendéré et Djibril Bassolé, deux proches parmi les proches de Blaise Compaoré.
Le premier, véritable " numéro deux " du régime, homme de toutes les missions sécuritaires, étaient un des artisans de la libération des otages dans la région, avec Moustapha Chafi, autre ami de Blaise Compaoré, qu’un article de presse a qualifié d’ « homme qui murmurait à l’oreille des djihadistes ».
Contrôlant toute la sécurité de la région, c’est probablement un des artisans des négociations avec les groupes djihadistes qui ont permis que le Burkina soit épargné des attentats jusqu’en 2015.
Le second, ancien ministre des affaires étrangères, a dirigé les négociations lors de la crise malienne entre 2012 et 2014, comme représentant de Blaise Compaoré. Djibril Bassolé n’eut de cesse d’imposer comme partenaires des négociations le MNLA et " Ansar Dine ", dans lesquels Iyad Ag Ghali jouait un rôle de tout premier plan.
Faute de pouvoir diriger le premier, c’est lui qui créa le deuxième.
C’est encore un hélicoptère burkinabè qui viendra sauver in extrémis les chefs du MNLA qui avaient aussi les faveurs de la France, en déroute le 26 juin 2012. Ces derniers prendront leur quartier à Ouagadougou où ils tiendront leur congrès en 2013.
Et que penser de cette révélation de la proposition de Djibril Bassolé de proposer le Qatar comme médiateur
(voir http://www.jeuneafrique.com/140150/politique/sahel-qui-livre-des-armes-au-mujao/ )
alors ce pays est notoirement considéré comme un des financiers des groupes terroristes [1].
Absoudre Blaise Compaoré comme le préconise Jean Baptiste Placca ?
Et voilà que dans ce contexte un éditorialiste de RFI, Jean Baptiste Placca, déclare : « Blaise Compaoré pourrait donc aider son pays, aujourd’hui, en parlant aux chefs terroristes, ses anciens amis, par patriotisme. Il pourrait leur demander d’épargner son peuple. Car, ce sont les Burkinabè qu’ils tuent. Et l’on imagine que l’ancien président du Faso peut aider à mettre un terme à ces attentats, non pas pour un quelconque bénéfice politique personnel, mais pour son honneur, et par patriotisme. »
Je me permets d’avouer que cette interview m’a mis sérieusement en colère.
De quoi s’agit-il ?
Blaise Compaoré a-t-il donc " de l’honneur ", lui qui refuse de revenir au Burkina pour rendre compte de ses responsabilités dans l’insurrection d’octobre 2014 qui a fait une trentaine de morts et de nombreux blessés ?
S’est-il même excusé pour les dégâts qu’il a faits à son pays ?
Doit-on donc redonner de l’air à des personnalités politiques qui ont une grande part de responsabilité dans le développement de la déstabilisation de la région ?
Comment parler de " patriotisme " alors qu’il fut à l’origine d’un système de prédation pour piller les richesses de son pays au profit de ses proches ?
On s’étonnera d’ailleurs de la résonance avec le communiqué de revendication, dont je n’ai pas pu trouver le texte intégral, cité par RFI : « Le GSIM rappelle d’ailleurs qu’il serait bon de revenir à la politique du précédent président burkinabè, Blaise Compaoré, qui avait observé « une certaine neutralité à l’égard de la lutte des moudjahidines contre la France et ses alliés » ».
(voir à http://www.rfi.fr/afrique/20180305-attentats-burkina-revendication-gsim-suite-enquete?ref=fb).
Même s’il s’étend auparavant longuement en expliquant que Blaise Compaoré n’aurait plus d’ambition politique, Jean Baptiste Placca ne demande rien d’autre que de faire perdurer une alliance dont les dégâts sont pourtant considérables.
Blaise Compaoré devrait donc conseiller à ses amis de se contenter de porter des coups au Mali et au Niger mais de préserver le Burkina !
Rappelons qu’Iyad Ag Ghali fut lui-même un des protégés de Blaise Compaoré.
Ainsi : « Présenté au départ comme un rebelle diplomate " policé ", Iyad Ag Ghali, 60 ans, qui a longtemps écumé hôtel et autres villas huppés de " Ouaga 2000 " au frais de l’État burkinabè et qui avait fui le Faso à la chute de Blaise Compaoré en 2014, vient de se proclamer " ennemi public numéro 1 " par la revendication du double attentat de vendredi ayant tué 8 militaires à Ouagadougou. Entre 2012-2014, Iyad, prend ses quartiers à " Ouaga 2000 ", entretenant des relations de complicité avec les plus hautes autorités du pays. »
Plus précis, " le journal les Afriques " écrit en janvier 2013 : « Le Mollah de Kidal (Iyad Ag Ghali), 54 ans, (…) vit dans une suite de luxe du 11 ème étage de l’hôtel Laico, un des bijoux du défunt guide libyen, Mouammar Kadhafi. C’est là qu’il reçoit et consulte.
Plusieurs personnalités de renom issues de la haute hiérarchie militaire, du gratin politique et du milieu des affaires défilent à longueur de journée. Djibril Bassolé, Francois Compaoré, Dienderé, Moustapha Chafi, le milliardaire Lancine Diawara le côtoient et le protègent.
Chouchouté et cadeauté par l’entourage présidentiel immédiat, Iyad Ag Ghali est une pièce maîtresse du leadership du chef de l’Etat, Blaise Compaoré dans la géopolitique du " no man ‘s land sahélien ". »
(Voir à http://www.lesafriques.com/dossier/les-seigneurs-du-mali.html?Itemid=308)
On y retrouve - et ce n’est pas un hasard - nos deux principaux accusé du putsch de septembre 2015.
Des complicités au sein de l’armée ?
C’est le quotidien d’État qui l’écrit : « S’il y a une inquiétude qui semble être partagée par les citoyens depuis les attaques terroristes perpétrées contre l’état-major général des armées et l’ambassade de France à Ouagadougou, c’est bel et bien les " forts soupçons " de complicité dans les rangs de l’armée burkinabè. Les premiers éléments de l’enquête, selon certaines informations divulguées dans la presse, font état de ce que l’armée serait infiltrée »
(voir http://www.sidwaya.bf/m-20380-trait-de-plume-de-la-vigilance-dans-les-rangs-.html).
Le communiqué du GSIM évoque donc des représailles à une opération qui se serait déroulée quelques 15 jours auparavant. Or, non seulement l’attentat spectaculaire parait avoir été extrêmement bien préparé, mais ceux qui ont attaqué l’État-major semblaient bien connaitre les lieux.
Ajoutons qu’un porte-parole de l’armée a reconnu que 400 uniformes de l’armée avaient été dérobés en mars 2017. Or, les assaillants de l’État-major portaient de tels uniformes.
D’autre part les autorités ont reconnu que l’attaque avait eu lieu alors que devait se dérouler une réunion du « G Sahel », le regroupement de la Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad qui doivent mettre sur pied une force militaire issue de leurs armées afin de monter en puissance contre les terroristes de la région et éventuellement supplanter petit à petit les troupes françaises.
Le lieu de la réunion avait été déplacé peu de temps auparavant et la salle prévue auparavant a été totalement détruite.
Crise dans l’armée ?
Les changements ont été importants à la tête de l’armée depuis l’insurrection, mais plusieurs officiers parmi les hauts gradés restent en place. Et de toute façon tous les officiers d’un certain rang ont tous fait leur carrière sous le régime de Blaise Compaoré, à qui ils ont dû, d’une façon ou d’une autre faire allégeance.
La nécessité d’une bonne organisation de l’armée est au cœur de la sécurité d’un pays. D’autant plus quand il s’agit de déjouer des attentats terroristes. On a vu que Gilbert Diendéré en était le maître incontesté, à tel point qu’un journaliste burkinabè avait proposé qu’on le maintienne en place, même après l’insurrection.
Les américains l’avaient encore invité aux manœuvres dénommés « Flintlock » qu’ils avaient organisé pendant " la transition " en 2015. Et dans un communiqué publié en février 2015 par le service de communication de RSP, on peut lire que les américains auraient déclaré : « si vous n’en voulez plus, donnez-le nous… ».
Bien entendu, rien ne filtre sur les services de renseignement. Mais l’arrestation en janvier du Colonel Denis Auguste Barry, bras droit du lieutenant-colonel Issac Zida, lors de " la transition " entretient des doutes sur les motifs réels. C’est le colonel Barry qui fut un temps, pendant " la transition ", en charge de la sécurité. Raison pour laquelle il était " la bête noire " du RSP qui n’a eu de cesse de demander son remplacement.
Il était - et semble être resté - très populaire parmi la jeunesse, justement pour avoir tenté de remettre sur pied les services de sécurité. Le gouvernement actuel n’a pas jugé bon de lui confier de nouvelles responsabilités, sans doute pour ne pas être accusé de tolérance envers Zida, devenu depuis général, réfugié au Canada, accusé de s’être enrichi sous " la Transition ".
Or voilà Auguste Barry accusé de « complot et incitation à la commission d’actes contraires à la discipline et au devoir ». Ses seuls co-accusés seraient tous civils ce qui accroit les doutes sur la véracité de l’accusation de « déstabilisation du régime ».
Auguste Denise Barry a créé un en septembre 2016, le CESDS : le « Centre d’études stratégiques en défense et sécurité ». Il a réussi à organiser un colloque d’envergure en septembre 2017 qui a rassemblé pendant 3 jours quelques 500 personnes coparrainé par les anciens Jerry Rawlings et Tabo M’Beki, qui n’a pas s’y rendre pour cause de maladie.
Et selon l’hebdomadaire " Jeune Afrique ", il s’apprêtait à publier un rapport pluridisciplinaire sur le « terrorisme burkinabè » avec la contribution d’une cinquantaine d’experts dressant un tableau alarmant de la situation.
Pour plus de détails sur cette affaire on se reportera à un article bien renseigné à :
Il ne s’agit pas ici de l’absoudre d’autant plus que les informations sur le déroulement de l’enquête sont rares. Mais si l’accusation « d’incitation à la commission d’actes contraires à la discipline et au devoir » ne repose que sur son travail de recherche pour améliorer la sécurité dans son pays, mieux vaut le dire rapidement.
La situation sécuritaire est grave. Pour autant, malgré toutes ces difficultés, la population - et les jeunes en particulier - " font corps " avec leur armée, ce qui reste un des acquis de l’échec du putsch de septembre 2015.
En même temps, il semble bien que des améliorations dans les services de renseignement qui paraissent ne pas être en mesure de prévoir de tels attentats doivent être rapidement apportées mais aussi pour que les forces de sécurité du Burkina augmentent leur capacité opérationnelle, mais aussi [1] On se reportera à l’ouvrage " SURVIE pour la guerre du Mali à La France en guerre au Mali enjeux et zones d’ombre " 2013 Éditions Tribord 250 pages.
Bruno Jaffré
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