CHILI : 2 ans après l’explosion sociale et 4 semaines avant la présidentielle

, par  DMigneau , popularité : 0%

CHILI : 2 ans après l’explosion sociale et 4 semaines avant la présidentielle

Si le " grain de sel " qui a enrayé la machine " libérale " à partir du 18 octobre 2019 est une simple augmentation de 30 pesos du ticket du métro, les revendications contre le " système libéral " étaient nombreuses. Elles s’étaient exprimées dans de nombreuses luttes et manifestations parfois spectaculaires.

Malgré " l’explosion sociale ", pour le moment, peu a été gagné.

Le salaire minimum reste excessivement bas même si, en octobre et novembre 2019, les travailleurs des grandes entreprises ont arraché de nombreuses augmentations de salaire.

La seule solution qui a été trouvé pour faire face à la crise du " pouvoir d’achat " a été de donner à chacun la possibilité de " piocher " dans son épargne retraite.

Le système chilien est un système de capitalisation individuelle. Chacun est " libre " de choisir le fonds de pension qui gère son " épargne retraite ", une cotisation obligatoire sur le salaire.

Cette épargne s’accumule et sert de base pour calculer les montants de la retraite. Le résultat est catastrophique pour les retraités dont les pensions sont ridicules.

A la faveur de la pandémie, par trois fois, il a été autorisé des retraits successifs de 10 % de l’épargne accumulée.

Actuellement, est en discussion un quatrième retrait.

Ces retraits successifs, s’ils ont été une " bouée de sauvetage " pour l’immense majorité des familles chiliennes, n’a réglé en rien la question du montant des salaires et des pensions. Les salaires sont restés bas et les fonds de pension n’ont été ni touchés, ni réformés ou nationalisés.

Le système de retraite par " capitalisation individuelle " est toujours là.

- L’éducation : aucune réforme n’est venue non plus.

L’université est toujours payante et le système de prêts aux étudiants intact. Ces prêts aux étudiants, plutôt que des bourses ou la gratuité des études, avaient été mis en place par l’ex- " Concertation ", l’alliance " centriste " libérale de la " Démocratie-Chrétienne " (DC) et du Parti " Socialiste " (PS).

- L’eau : aucune réforme non plus. L’eau qui a été entièrement privatisée par Pinochet puis par l’ex-" Concertation ", l’est toujours. Aucune loi nouvelle n’est venue régulée sa propriété, son utilisation ou son coût.

- La terre : grande revendication des " Mapuches ". La terre reste, comme l’eau soumise au droit de la propriété privée qui ne correspond aucunement aux traditions " Mapuches " de propriété collective familiale.

De plus aucune négociation globale n’a été entamé entre « l’Etat » et les représentants " Mapuches ". Au contraire, le président Piñera vient de proclamer " l’Etat d’exception " dans les provinces du sud où vient les " Mapuches " et d’y faire déployer l’armée.

On pourrait faire le tour de toutes les revendications qui avaient été brandies par les Chiliens dès avant " l’explosion sociale ", rien n’a bougé, ni dans les textes ni dans les faits.

Si un certain nombre de lois ont été votées par les députés, elles sont en général bloquées au niveau du Sénat. Par exemple, les députés ont voté fin 2019 la loi instaurant la semaine de travail de 40 heures. Depuis cette loi est bloquée au Sénat où elle n’a toujours pas été examinée. La Présidente du Sénat était Yasma Provoste, " DC " et aujourd’hui candidate présidentielle de l’ex-" Concertation ".

La droite a néanmoins concédé un changement important : celui de la « Constitution ». Une " Commission Constituante " qui doit rédiger une nouvelle « Constitution » a été élue en mai 2021.

Pas une " Assemblée Constituante ", une Commission : la nuance est importante. La " Commission " doit légiférer dans le cadre de la loi et de la Constitution actuelle. Elle n’est pas entièrement indépendante et souveraine. En particulier, il est interdit à la " Commission " de toucher aux traités internationaux signés par le Chili.

Symboliquement, c’est une femme représentante du " Peuple Mapuche " qui a été élue à la présidence de la Commission.

Symboliquement encore la future « Constitution » a commencé à s’écrire le 18 octobre 2021.

La droite est déchainée contre cette assemblée et mène une campagne permanente contre elle. Mensonges, calomnies, rumeurs, " fake-news ". La droite tente d’une part de freiner les travaux et espère que la « Constitution » qui sera proposée soit rejetée par les Chiliens dans le référendum final qui devrait avoir lieu au second semestre 2022.

Les élections de mai 2021 à la " Commission Constituante " ont mis en évidence un changement de rapport de forces politiques. La droite s’est effondrée. L’ex-" Concertation " également. Ont surgi deux nouvelles forces : les indépendants d’un côté et l’alliance du " Frente Amplio " (FA) et du " Parti Communiste Chilien " (PCCh), qui a pris le nom d’ " Apruebo Dignidad ".

Les indépendants, c’est-à-dire un ensemble de candidats agissant en dehors des partis, avaient présenté trois listes, toutes orientées à gauche, mais avec de fortes nuances.

Ensemble, elles ont obtenu plus du tiers des voix. Ce succès des indépendants a montré l’ampleur du rejet des partis politiques. L’alliance " Apruebo Dignidad " a réussi la performance d’être le premier groupe au sein de la " Commission Constituante ". En son sein, les voix se sont répartis à part égales entre le PCCh et le FA.

Avaient lieu en même temps les « municipales ».

Le FA a gagné un certain nombre de municipalités et conservé Valparaiso, la seconde ville du pays.

Le PCCh a gagné autant de municipalités qu’il en a perdu. S’il dirigera le même nombre de communes, il a conquis la capitale, la commune de Santiago ; ne pas confondre la commune de Santiago, 400 000 habitants, avec l’agglomération de Santiago, 7 millions d’habitants, qui regroupe une quarantaine de communes.

Cette municipalité a dorénavant une jeune maire " communiste " qui représente bien les changements survenus au sein du PCCh, son rajeunissement et sa " féminisation ".

Maintenant, tous les regards sont tournés vers la « présidentielle » dont le premier tour est fixé au 21 novembre et le second en décembre 2021.

Dans la désignation des candidats des différentes forces politiques, il y a eu plusieurs surprises.

A droite, c’est un " indépendant ", un transfuge de la DC, Sébastian Sichel qui représentera la droite et « l’extrême-droite » gouvernementale. Il a été ministre de Piñera et président de la « Banque centrale ».

Au centre, la présidente du Sénat, Yasna Provoste, représentera les partis de l’ex-" Concertation ", après des négociations et " marchés de dupes " bien typiques de la " vieille " manière de faire de la politique.

Kast sera de nouveau le candidat de « l’extrême-droite » non gouvernementale, la partie la plus « libérale », la plus dure, la plus " pinochetiste " de l’arc politique chilien.

A gauche, avait lieu une " primaire " entre le communiste Daniel Jadue, maire emblématique de Recoleta, et Gabriel Boric du FA. On attendait la victoire de Daniel Jadue à la " primaire " en juillet. Ce fut celle de Gabriel Boric.

Grosse déception chez les " communistes ".

Cet échec peut d’expliquer de plusieurs façons.

La peur n’a pas disparu : pour beaucoup si Daniel Jadue l’emportait, on aurait eu à terme une nouvelle intervention militaire. Vraie ou fausse, cette croyance a fonctionné. Ce n’est pas pour rien que le slogan du PCCh en était : " Votez communiste sans peur ".

Par ailleurs, quand on étudie plus précisément les résultats, on constate que des électeurs du " centre " - " socialistes " ou " démocrate-chrétiens " - sont venus apporter leur voix à Gabriel Boric. Il faut aussi se souvenir, que le PCCh avait perdu fin 2020 les élections au sein du syndicat des enseignants (" Colegio de Profesores ") au profit du FA.

Puis en mars 2021, le PCCh a perdu la direction de la grande centrale syndicale, la CUT, au bénéfice des " socialistes ".

Si le PCCh est bien " sorti du placard " où il était enfermé depuis la fin de la dictature, s’il a doublé le nombre de ses voix et recueille aujourd’hui près de 10 % des suffrages, s’il a gagné Santiago, il n’a pas encore retrouvé l’influence d’avant la dictature quand dans les années 70, il avait 15 % des voix.

La campagne en faveur de Gabriel Boric n’efface pas les différences entre les " communistes " et le FA.

Le PCCh a, à plusieurs reprises, manifesté son inquiétude face à une dérive droitière possible du FA. Il a promis d’être particulièrement vigilant quant à l’application effective du programme d’ " Apruebo Dignidad ".

Si le PCCh était très présent " Plaza Dignidad ", le 18 octobre, pour célébrer le deuxième anniversaire de " l’explosion sociale ", le FA s’est fait discret. Son candidat était à Valdivia à 600 km au sud et ses députés se sont abstenus de venir à la manifestation.

Les sondages aujourd’hui donnent Gabriel Boric en tête au premier tour et vainqueur au second tour, quel que soit le candidat qu’il aurait à affronter. Mais les sondages se sont bien trompés pour les " primaires " : ils n’avaient pas prévu les victoires de Sichel à droite ni de Boric à gauche.

En face, c’est Kast qui a " le vent en poupe ". Il est passé dans les sondages à la seconde place devant Sichel et Provoste. Il y a clairement une radicalisation de la droite chilienne. Celle-ci s’apprête à mener une bataille sévère, sans trêve et sans compromis, contre le futur gouvernement de Gabriel Boric.

En témoigne son comportement raciste et agressif contre les immigrés.

En témoigne " l’état d’exception " que vient de décréter Piñera dans toutes les provinces du Sud où vient les " Mapuches ". La droite recherche les incidents violents, elle en créée les conditions.

Le futur président assumera ses fonctions en mars 2022. C’est à ce moment-là que pourront commencer à trouver des solutions les problèmes des salaires, des retraites, de la santé, de " l’Université ", des " Mapuches ", etc. si et seulement si le peuple s’en mêle de nouveau, comme en octobre 2019.

Pierre CAPPANERA

Le Grand Soir.fr