« Appelle Jack, il a des idées » - la fiction du réel dans le discours politique contemporain
« Appelle Jack, il a des idées » - la fiction du réel dans le discours politique contemporain
Selon Benjamin Delmotte, « l’homme politique qui se défend des accusations de fraude fiscale en alléguant une " phobie administrative ", le responsable du FN qui détourne la Résistance et ses héros (...) ne peuvent pas être réellement entendus. L’énormité de leurs propos les situe presque hors de la réalité. C’est peut-être ce qui explique l’impossibilité contemporaine du scandale ».
Un récent documentaire (1) montrait le Président François Hollande et le Premier Ministre Manuel Valls rivaliser de paternalisme badin, sur le perron de l’Élysée, pour conseiller Madame Fleur Pellerin, tout juste nommée Ministre de la culture après le remaniement de 2015. « Faut des idées... Appelle Jack, il a des idées » ; « Va au spectacle. Tous les soirs. Il faut que tu te tapes ça » ; « Et dis que c’est bien, que c’est beau... » ; « Ils veulent être aimés... ».
La situation et le discours sont risibles et la séquence a provoqué beaucoup de railleries dans sa reprise sur la toile. Mais il est bien certain que l’on rit jaune : beaucoup ont regretté cet aveu de condescendance de la classe politique ainsi que sa profonde méconnaissance de la société réelle.
Il est par ailleurs difficile de regarder cet extrait sans se dire que " la réalité dépasse la fiction ". L’échange est si grotesque, si naïvement révélateur de la fameuse " déconnexion " de la classe politique - de droite comme de gauche - que l’on ne peut s’empêcher de penser que ce même dialogue, placé dans une œuvre de fiction, aurait paru peu vraisemblable, exagéré, sinon raté : " cela sonne faux ", aurait-on dit.
On pourrait en conclure que la fiction est plus exigeante que le réel, moins encline à tolérer la trivialité. Mais une telle conclusion demeure insuffisante : par-delà cette question d’exigence, c’est le statut de la réalité et de la fiction politiques, ainsi que le problème de leur rapport qui doivent être questionnés.
Car devant cette séquence, et bien d’autres épisodes de la vie politique contemporaine, nationale comme internationale, l’impression selon laquelle " la réalité dépasse la fiction " s’impose si souvent que les concepts en jeu méritent sans doute un examen plus approfondi.
De quelle réalité parle-t-on exactement ?
De quelle fiction ?
Quel est le statut de ce dépassement ?
La représentation fictionnelle de la politique
De telles questions peuvent d’abord nous amener à nous pencher sur les représentations contemporaines de la politique dans le cinéma et les séries télévisées.
À quel régime de " fictions politiques " sommes-nous aujourd’hui confrontés ?
Force est de constater que le genre connaît peut-être une certaine inflexion par rapport à ce qui se faisait à la fin du XXème siècle. Si le scandale politique ou la collusion avec les médias ont souvent été au cœur de ces fictions, c’était au travers d’enquêtes qui ramenaient l’évocation de la politique au cadre du thriller ou du film policier sur le modèle des " Hommes du président ", par exemple.
Peut-être la particularité du traitement contemporain de la politique, même si les scandales, la question des liens avec les média et le motif de l’enquête sont toujours fréquents, réside-t-elle plutôt dans une sorte d’effet de sidération devant les possibilités de la parole ou de l’action politique.
" L’exercice de l’État " (2) a ainsi montré comment un ministre pouvait avaler son chapeau et oublier toutes ses convictions ; " In the loop " (3), comment un motif de guerre pouvait être totalement fabriqué ; et le premier épisode de la série " Black mirror "(4), comment le Premier Ministre anglais pouvait être amené, suite à un chantage, à avoir une relation sexuelle non simulée avec un cochon devant toutes les caméras de son pays...
Que ce soit sur le mode de la satire, de la parodie ou même sans aucune ambition comique, la représentation audiovisuelle de la politique en fait le lieu d’un excès qui n’est pas seulement l’excès de pouvoir : excès d’incompétence, d’ambition, de petites et grandes compromissions ; plongée sans fin dans les abîmes de l’absurdité, de l’ignorance ou de la bêtise.
Mais cet excès, avant tout, renvoie à une indécision dans la modalité.
Quel est en effet le statut de ces films ?
S’agit-il de " pures fictions " - selon l’expression consacrée - totalement déconnectées de la réalité ?
Ne faut-il pas plutôt reconnaître le trouble qu’elles instituent ?
De fait, ces films montrent des situations assez incroyables, parfois loufoques, l’exagération atteignant dans certains cas des proportions extravagantes. Malgré tout, on n’en continue pas moins d’être troublé, tant la fiction, dans son exagération même, conserve, sinon acquiert un effet de réel.
D’abord, parce que ces fictions, de toute évidence, renvoient à des réalités advenues : un homme politique qui avale son chapeau, cela n’est pas seulement fictif... Pas plus qu’une guerre d’invasion décidée à partir de fausses preuves quant à la présence d’armes de destruction massive chez l’adversaire.
Bien sûr, on pourra nous objecter que l’argument de " Black mirror " demeure lui - heureusement - bien extravagant : l’épisode de la série n’en reste pas moins terriblement efficace autant que " vraisemblable " et dans sa peinture de la collusion des media et de la politique, et dans son déroulement dramatique.
Car ce que montre avant tout ce film, c’est la façon dont une revendication reconnue comme tout à fait grotesque au début de l’épisode (obliger un chef de gouvernement à avoir une relation avec une truie !) finit, progressivement, par s’imposer.
" National Anthem " déroule en effet tout un imbroglio politico-médiatique qui, de façon implacable, parvient à rendre plausible puis réelle la plus grande extravagance : de sorte que ce qui paraissait totalement impossible devient, un temps plus tard, une réalité et même une " nécessité " politique de l’ordre de la raison d’État.
C’est ce trouble dans la modalité - ce passage de l’impossible au réel, et même au nécessaire - qui confère à la fiction sa force, dans la mesure où l’on peut y reconnaître une puissance effective du monde politique contemporain. À l’heure où nous écrivons ces lignes, un gouvernement de gauche entend par exemple légitimer l’extension de l’état d’urgence ainsi que la possibilité d’une déchéance de nationalité.
Qui aurait pu croire la gauche capable d’un tel discours il y a quelques années, ou même quelques semaines ?
Surtout, la fiction connaît une frontière trouble avec la réalité, tant la réalité elle-même - comme on l’a déjà suggéré - n’est plus discernable de la fiction. Tout se passe comme si le réel flirtait aujourd’hui avec sa propre parodie. Quoique l’incompétence, la vulgarité ou l’ignorance des personnages d’ " In the loop " puissent nous paraître exagérées, il nous faut bien admettre une même impression d’excès lorsque nous entendons l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy renvoyer vertement d’un " casse-toi pov’con " (5) un homme qui refusait de lui serrer la main. Et entendre l’ancien Secrétaire d’État au commerce Frédéric Lefebvre affirmer d’un air pénétré que son livre préféré a pour titre " Zadig et Voltaire " (6) provoque un rire qui n’est pas loin de la consternation...
Fiction, réalité et vraisemblance.
L’observation de la réalité politique contemporaine peut donc susciter un effet de sidération qui la rend analogue à sa " fictionnalisation ", quand bien même celle-ci cultive un goût de l’excès et de la parodie.
Est-ce à dire que la réalité politique a basculé en ne relevant plus tant d’un régime de vérité que d’un régime de simple vraisemblance ?
L’importance démesurée des communicants dans le personnel et le discours politique contemporain, l’accent mis sur les " éléments de langage " ou encore l’idée de plus en plus répandue selon laquelle une réforme politique ne demande pas tant une délibération publique qu’un simple " effort de pédagogie "... tout ceci pourrait accréditer l’idée du basculement du vrai vers le seul vraisemblable.
Mais sans doute faut-il remarquer que ce basculement est loin d’être chose nouvelle : celui qui, sur le modèle machiavélien déjà, conseille au Prince de nier ses fautes - « Si tu l’as fais, nie-le » (7) - suggère que le registre politique est bien celui de la vraisemblance.
On peut encore remonter plus loin : chez Aristote (8), la caractérisation de cette disposition éminemment politique qu’est la prudence (phronesis) implique de comprendre le monde de l’action humaine comme un monde extérieur à la vérité si celle-ci désigne un ordre intangible, absolument nécessaire et universel.
Pour le philosophe, la prudence n’a de sens qu’à l’intérieur du monde " sub-lunaire ", celui-là même qui doit souffrir la présence du hasard et de l’accident. De sorte que la délibération et l’action politique ne relèvent pas tant de la vérité que de la détermination du meilleur possible, eu égard aux circonstances, toujours particulières, auxquelles elles sont confrontées.
En quoi le régime de vraisemblance, propre à la politique contemporaine, est-il donc particulier ?
C’est encore chez Aristote que nous pouvons chercher une réflexion à même de nous mettre sur la voie : commentant l’activité imitative du tragédien, Aristote affirme que le but de l’écriture n’est pas la stricte reproduction de la réalité. Selon lui, il faut parfois « préférer l’impossible qui est vraisemblable au possible qui est incroyable » (9).
Or, ce paradoxe semble bien pouvoir être transposé à l’action politique : si le pouvoir n’a d’autre sens que sa conservation, le Prince doit préférer le mensonge éhontée à l’aveu intolérable qui pourrait le faire tomber.
La particularité de l’époque contemporaine résiderait alors dans l’évolution de ce paradoxe : les politiques n’ont plus besoin d’être machiavéliens, encore moins machiavéliques. Il ne s’agit plus forcément de rendre le mensonge crédible, il ne s’agit plus de faire preuve d’une adresse remarquable dans le camouflage ou le mensonge. Comme le remarque Wendy Brown (10), à l’époque de ce qu’elle nomme une " dé-démocratisation " - soit une forme d’effondrement de la démocratie sur elle-même - on assiste à l’impossibilité du scandale politique.
De fait, les situations de scandale sont nombreuses et avérées ; pourtant, ces situations scandaleuses semblent sans conséquences. La présence d’armes de destruction massive en Irak, par exemple, était une fiction mais le président Georges Bush n’a jamais été inquiété.
Dans un autre registre, en France, le candidat François Hollande a affirmé que la finance était son " ennemi " avant de donner à sa politique, sans autre justification, un tournant social libéral qui a laissé sans voix nombre de ses électeurs...
La parole et l’action politiques semblent ainsi presque aussi éloignées du vraisemblable que du vrai dans la mesure où il ne s’agit peut-être même plus de produire une apparence de vérité.
Celui qui cherche la vraisemblance croit en effet encore à la vérité ; or, sans doute cette croyance est-elle dépassée dans les fictions du discours politique contemporain. Les mensonges et revirements sont si nets, si assumés, qu’ils mettent à mal aussi bien l’idée de " vérité " que celle de " vraisemblance ".
Ici réside l’évolution récente de la politique, sans doute imputable à l’omniprésence des communicants. Sous leur influence, le discours politique devient simple fiction, il se " dévalorise " dans la mesure où il ne relève plus de la conviction et renonce à toute valeur (le juste, le vrai...), et ce d’une manière fondamentale : il ne s’agit même plus de les viser de façon asymptotique.
Le discours et l’action politique ne tendent plus vers la possibilité d’une adéquation (avec le juste, le vrai, ou le préférable), mais semblent dorénavant se tenir de façon autonome, sans pouvoir s’évaluer autrement que par leur efficacité instantanée.
De même que les communicants produisent un discours publicitaire totalement déconnecté du " tenir-pour-vrai " (nul n’est dupe du discours publicitaire au sens où nul ne peut croire que l’achat d’un produit surgelé va changer sa vie) ; de même produisent-ils un discours politique tout aussi éloigné du " tenir-pour-vrai " : nul ne croit à l’inflation des promesses électorales.
Et de même que le discours publicitaire est seulement légitimé par son efficacité (en mesurant l’impact du discours sur les ventes), le discours politique n’est plus légitimé autrement que par sa seule " efficacité " en mesurant l’impact du discours sur les sondages ou les votes.
La politique contemporaine semble donc bien relever d’une fiction communicationnelle qui ne cherche plus même à paraître vraisemblable, qui reste flottante, sans plus aucun lien avec la conviction ou une réalité que l’on puisse tenir pour vraie. Il ne s’agit certes pas de réduire le discours et l’action politiques contemporains à une " fiction " et un " storytelling " continus, mais de constater la prégnance de cette " fictionnalisation " ainsi que ses conséquences perverses pour toutes les paroles et tous les actes qui entendent y échapper.
L’effectivité de la fiction
Comment comprendre que le discours et l’action politique puissent relever d’une telle " fiction " autonomisée ?
Comment comprendre que des sociétés " démocratiques " puissent tolérer une telle autonomisation ?
Il nous est impossible de répondre ici totalement à cette question. Nous nous contenterons de suggérer la nécessité de creuser plus avant la redéfinition de la fiction et du réel.
Remarquons donc que toute fiction politique est un façonnement du monde : la fiction implique un facio, le plus souvent à titre de résultat ou conséquence. Depuis Aristote et la définition de la prudence, la mise en avant de la délibération dans l’action politique peut se comprendre comme celle de l’imaginaire, tout autant que de la réflexion intellectuelle : l’homme prudent est celui qui " invente " une solution adaptée à des circonstances toujours particulières.
Autrement dit, l’homme prudent ne reproduit pas une vieille recette, pas plus qu’il n’applique un savoir intangible. Il lui faut inventer l’action, de sorte que son agir requiert sans doute autant la puissance de l’imagination que celle de l’intellect.
Mais si l’on accepte la pertinence d’une telle imagination politique, il faut aussi rappeler qu’elle est en partie bridée par le " raisonnable ".
Pour Aristote, dans la prudence, la disposition à agir est « accompagnée de règle vraie » (11) : si elle ne relève pas de la seule logique ou d’une détermination rationnelle, elle est raisonnable, révèle une intelligence pratique, à la fois inventive et rigoureuse.
Or, peut-être la fiction politique contemporaine se situe-t-elle à l’opposé de cette prudence aristotélicienne : là où Aristote congédie le " rationnel " pour mieux ouvrir le " raisonnable ", la communication politique contemporaine se démarque du raisonnable en viciant le rationnel. Car l’une des caractéristiques de ce discours est sans doute de nier le principe de " non-contradiction ".
Souvenons-nous ici du fameux « win the " yes " needs the " no " to win » (12) d’un ancien Premier Ministre français : par-delà le comique " franchouillard " de l’expression, l’absurdité rhétorique nous met sur la voie d’une nouvelle compréhension de la fiction politique contemporaine.
Il faut en effet penser une fiction toute puissante, qui non seulement est déconnectée de tout " tenir pour vrai ", mais également du principe de non-contradiction. Il faut penser un discours dans lequel les mots n’ont plus de sens ou, plus précisément, dans lesquels ils peuvent, simultanément signifier une chose et son contraire.
Le Président de l’Assemblée Nationale, M. Claude Bartolone, lors d’une récente interview (13), parvient ainsi à justifier le tournant sécuritaire du gouvernement et l’idée que les policiers municipaux devraient être armés (proposition faite par M. François Hollande) tout en se défendant de suivre en cela l’exemple d’une personne comme M. Robert Ménard alors que ce dernier, comme une grande part de l’extrême-droite, recommandait une telle mesure depuis longtemps.
La fiction, donc, relève de l’irrationnel, mais d’un irrationnel qui remet tout autant en question le domaine propre au raisonnable. Sur ce point encore, la réflexion aristotélicienne est édifiante : le non respect du principe de non-contradiction rend en effet impossible toute expérience, tout échange humain. Il est absolument impossible de discuter - et donc de délibérer - avec celui qui ne reconnaît pas le sens d’un mot au moment où il l’emploie, car un tel homme pour Aristote, est semblable à une plante (14)...
Qu’en est-il alors du réel, à l’heure de cette fiction toute puissante et fondamentalement alogique ?
Si l’on file la métaphore aristotélicienne, il faudrait parler de " plante invasive ", car le réel ne sort pas indemne de cette fiction. Si la réalité dépasse la fiction, c’est parce que la fiction communicationnelle déborde dans le réel.
De fait, le réel a été en partie colonisé par cette fiction, aussi bien dans le monde politique que dans le monde social. Qui n’a pas vécu cette " végétalisation " du discours et des pratiques dans son école, son université, son entreprise... ?
Le réel contemporain, sous le coup de cette fiction toute puissante, est en effet devenu l’espace où " l’impossible de la contradiction " a pu s’immiscer. On pourrait dire que le réel a en partie cédé sa place à une effectivité qui n’a plus rien à voir avec l’effectivité rationnelle hégélienne.
Au contraire, cette " effectivité fictionnelle " est fondamentalement illogique et marque une sorte de triomphe de la " contingence ", au double sens du génitif : parce que la possibilité même d’une rationalité disparaît et parce que la contingence ne désigne plus ce qui peut être autrement qu’il n’est, mais ce qui peut simultanément être et ne pas être, être et être autrement qu’il n’est.
Autrement dit, il y a triomphe de la contingence au sens où celle-ci s’abîme dans l’absurde et le non-sens. La contingence du monde " sub-lunaire " dans laquelle Aristote ménageait la possibilité de l’agir, s’enkyste dans la seule effectivité d’une fiction alogique.
Ajoutons, pour finir, que ce glissement du réel vers l’effectivité s’accompagne naturellement d’un sentiment de " déréalisation " : l’homme politique qui entend se défendre des accusations de fraude fiscale en alléguant une « phobie administrative » (15), le responsable du Front national qui récupère et détourne la Résistance et ses héros (16) ou le grand patron qui justifie son parachute doré ne peuvent pas être réellement entendus.
L’énormité de leurs propos les situe presque hors de la réalité.
C’est peut-être ce qui explique l’impossibilité contemporaine du scandale : on ne peut y croire. O ne peut croire ce qui se dit ou se fait. La réalité contemporaine, en ce sens, désigne une effectivité " déréalisée " dont la déréalisation produit une sorte d’épochè qui n’a rien de philosophique et qui menace fondamentalement l’idée même de politique.
Car ce recul " sidéré " devant l’effectivité de la fiction nous déréalise à notre tour, nous fait entrer, d’une certaine manière, dans la fiction : rester sans voix, face à la fiction communicationnelle, ne rien dire ou ne rien faire là où, de toute évidence, il faudrait agir ou parler, c’est légitimer le triomphe nihiliste de la contingence...
Du moins jusqu’à ce qu’un choc nous rappelle violemment à la réalité.
Une fiction comme " L’exercice de l’état " a remarquablement mis en scène cette opposition de la fiction communicationnelle et du réel : le ministre embourbé dans ses contradictions et qui semble ne plus même avoir conscience de ses contradictions, va retrouver le réel (un temps seulement !) au prix d’un accident de la route d’une rare violence.
C’est un passage clef du film, un passage où le spectateur, avec les personnages, a l’impression, dans le cauchemar même de l’accident " réel ", de sortir d’un rêve, tant il a été pris dans le tourbillon fictionnel de la communication. Lacan avait sans doute raison de dire que le réel, " c’est quand on se cogne " : seule la brutalité du choc semble à même de nous faire quitter l’égarement de la fiction.
Il est des chocs salutaires, d’autres qui ne sont que pure brutalité. Quoi qu’il en soit, on ne peut que s’inquiéter d’une époque et d’une démocratie qui semblent condamnées à attendre le prochain choc.
Benjamin Delmotte,
enseignant en philosophie à l’ENSAD (École des Arts Décoratifs)
MediaPart
Notes :
(1) Yves Jeuland, " À l’Élysée, un temps de président ", 2015.
(2) Pierre Schoeller, " L’exercice de l’État ", 2011.
(3) Armando Iannucci, " In the loop ", 2009.
(4) Otto Bathurst, " The national anthem ", (Black mirror, saison 1, épisode 1), 2011.
(5) La phrase a été prononcée lors d’une visite présidentielle au salon de l’agriculture en février 2008.
(6) Cette réponse a été donnée lors d’une interview au figaro.fr en avril 2011.
(7) Le " Si fecisti, nega " est l’un des " sophismes " politiques commentés par Kant (" Projet de paix perpétuelle ", Appendice, I, traduction anonyme revue par Heinz Wisman, in Kant, Œuvres philosophiques, tome 3, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1986, P 370).
(8) Aristote, " Éthique à Nicomaque ", VI, 5, traduction J. Tricot, Vrin, Paris, 1990, pp. 284-287.
(9) Aristote, " La poétique ", 24, 1460a, traduction J. Hardy, Les belles lettres, Paris, 1990, p. 69.
(10) Wendy Brown, " Les habits neufs de la politique mondiale, néolibéralisme et néo-conservatisme ", traduction Christine Vivier, Les prairies ordinaires, Paris, 2007, p. 83 et suivantes notamment.
(11) Aristote, " Éthique à Nicomaque ", ouvrage cité, p. 285.
(12) Cette phrase a été prononcée par l’ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin, lors d’un discours de campagne en faveur du référendum sur la Constitution européenne en mai 2005.
(13) Interview donnée au Matins de France Culture, le 3/12/2015.
(14) Nous renvoyons ici à l’argumentation conduite par Aristote au chapitre 4 du livre gamma de la " Métaphysique " (cf. Métaphysique, tome 1, traduction J. Tricot, Vrin, Paris, pp. 214-215 notamment)
(15) C’est l’argument invoqué en 2014 par l’ancien Secrétaire d’État au Commerce extérieur Thomas Thévenoud, pour expliquer ses défauts de déclaration de revenus.
(16) Nous renvoyons ici notamment à l’article de Jean-Marie Pottier sur la récupération de la figure de Marc Bloch par le front national :