3 questions que pose l’intégration d’une 3e dose au " passe sanitaire " pour les plus de 65 ans
3 questions que pose l’intégration d’une 3e dose au " passe sanitaire " pour les plus de 65 ans
Ce 9 novembre, 3,4 des 7,7 millions de personnes éligibles ont reçu leur dose de rappel de vaccin " anti-Covid ". Hans Lucas via AFP
L’épidémie de " Covid-19 " reprend dans « l’Hexagone », Emmanuel Macron s’est adressé aux Français ce 9 novembre et annoncé l’intégration d’une troisième dose de vaccin " anti-Covid " au " passe sanitaire " à compter du 15 décembre pour les plus de 65 ans.
Une évolution qui pose plusieurs questions.
À partir du 15 décembre, il vous faudra justifier d’un rappel pour bénéficier du " passe sanitaire " si vous avez reçu une seconde dose il y a plus de six mois et que vous êtes âgé de plus de 65 ans, a annoncé le président de la République ce soir mardi soir.
L’objectif du gouvernement est de pousser les Français actuellement " éligibles " à une troisième dose à franchir le pas, alors que le taux d’incidence augmente : il est supérieur au " seuil d’alerte " de 50 cas quotidiens sur 100 000 habitants depuis mi-octobre.
Le nombre actuel de cas reste toutefois loin du pic de début septembre. Une menace de saturation des hôpitaux semble encore plus lointaine : lors de la " flambée " de la fin de l’été, la proportion de malades à avoir fini en " réanimation " s’est avérée plus faible que lors des " vagues " précédentes, grâce aux effets de la vaccination.
« L’exécutif » espère, via le rappel vaccinal, éviter une nouvelle " vague ".
Mais cette évolution du " passe sanitaire " pose de nombreuses questions.
Est-ce vraiment le bon levier pour limiter l’augmentation des transmissions ?
Pour qui faut-il exiger une dose de rappel ?
Y a-t-il vraiment un manque d’engouement pour la troisième dose ?
" Marianne " fait le point.
OÙ EN EST LA CAMPAGNE DE RAPPEL ?
Un élargissement du " passe " est-il réellement indispensable pour relancer les injections de rappel ?
À l’heure actuelle, 3,4 des 7,7 millions de personnes " éligibles " ont reçu leur dose supplémentaire, indique l’AFP.
Pour examiner plus précisément le rythme de la campagne, nous nous sommes penchés sur la vaccination des plus de 65 ans. Tous les membres de cette classe d’âge peuvent bénéficier d’une nouvelle injection s’ils ont reçu leur deuxième piqûre il y a plus de six mois, ou plus de quatre semaines seulement s’il s’agissait du vaccin " Janssen ".
Pour ce dernier produit, dont les données quotidiennes ne détaillent pas l’âge des personnes l’ayant reçu, nous avons appliqué la répartition au 23 septembre indiquée par " l’Agence de sécurité du médicament " (ANSM).
En revanche, nous n’avons pu inclure les patients souffrant de " comorbidités ", en l’absence de chiffres actualisés sur cette catégorie.
Verdict : sans être fulgurante, la progression de " l’immunisation " chez les personnes âgées n’est pas non plus " en berne ". Comme le montre le graphique ci-dessous, le nombre " d’éligibles " augmente de plus en plus vite au fil du temps, au fur et à mesure que de nouvelles personnes âgées dépassent le délai requis.
Au 7 novembre, 3,1 millions de personnes ont reçu une piqûre de rappel, alors qu’environ 6,1 millions peuvent y prétendre. Un peu plus de la moitié des éligibles en a donc " bénéficié " à cette date.
Pas d’essouflement en vue
Nombre de personnes ayant reçu une dose de rappel d’un vaccin " anti-Covid " et nombre " d’éligibles ", parmi les plus de 65 ans :
https://www.datawrapper.de/_/nIOEZ/
Afin de mieux visualiser la dynamique de la campagne, le graphique ci-dessous montre l’évolution de cette proportion au fil du temps.
Résultat : après avoir connu un démarrage " en trombe ", la progression de la part d’immunisés a nettement ralenti fin septembre. Cependant, le rythme des piqûres de rappel s’est stabilisé à partir de mi-octobre et accélère même à nouveau légèrement depuis la fin du mois dernier. Il paraît donc difficile de parler " d’essoufflement ", même si les " plus de 65 ans " pourraient être plus enthousiastes à profiter du rappel.
Une hausse ralentie mais persistante
Part des personnes " éligibles " de plus de 65 ans ayant reçu une dose de rappel, en %.
Chaque point indique la valeur moyenne sur les sept jours précédents : le niveau affiché au 7 novembre correspond, par exemple, à la moyenne des valeurs sur les sept premiers jours du mois.
https://www.datawrapper.de/_/nFbCB/
Les chiffres de prise de rendez-vous sur " Doctolib ", publiés sur son site « Internet », semblent d’ailleurs confirmer cette tendance. Après avoir " marqué le pas " dès le 5 septembre, la cadence des réservations s’intensifie peu à peu depuis début octobre.
Sur la dernière semaine, une partie de ce " redressement " pourrait toutefois être due à ce qui n’était alors que rumeurs autour de l’élargissement du " passe ", l’allocution d’Emmanuel Macron ayant été annoncée le 5 novembre par " BFMTV ".
Symptôme de cet " électrochoc " avant l’heure : près de 100 000 créneaux pour des piqûres de rappel ont été fixés rien que sur la journée de ce lundi 8 novembre, ce qui constitue de loin le record depuis début septembre.
QUE SAIT-ON DE L’EFFICACITÉ DE LA TROISIÈME DOSE ?
Si le gouvernement a décidé d’ouvrir cette dose de rappel à certaines catégories, c’est que la " protection " conférée par la " vaccination " baisse au cours du temps après la deuxième injection.
Une étude montre que six mois après, la protection contre l’infection n’est que de 50 %, mais celle contre les formes graves culmine toujours à 90 %. Une dose de rappel permet de relever ces deux pourcentages.
" D’un point de vue biologique, il est évident qu’il faut faire une troisième dose ", assure Jean-Daniel Lelièvre, chef du service maladies infectieuses à l’Hôpital Mondor à Créteil.
En effet, un délai important entre deux doses permet de produire des " lymphocytes B " mémoire. Ces cellules produisent des " anticorps " contre le virus lorsque celui-ci nous infecte.
" Ce rappel six mois après la deuxième dose induit donc une réponse durable et optimise l’efficacité du vaccin ", explique le scientifique. En Israël, où l’obtention du " passe sanitaire " est suspendue à une troisième dose pour toute la population depuis le mois d’octobre, des études ont montré que cela diminue le risque de développer une forme sévère du " Covid-19 " et limite les infections symptomatiques et la charge virale.
Après le rappel, nous sommes donc également moins contagieux.
La troisième dose est donc a priori efficace pour protéger la population au niveau individuel, mais a encore plus de sens chez les personnes âgées.
" Après un certain âge, le système immunitaire s’affaiblit et la protection du vaccin diminue encore plus que chez les jeunes, d’où l’importance du rappel ", souligne Jean-Daniel Lelièvre.
Bémol : les personnes " immuno-déprimées ", particulièrement à risque face à la maladie, ne répondent pas toujours aux doses de rappel.
" On ne sait pas vraiment si c’est efficace chez ces personnes ", souligne le chercheur.
LES PLUS DE 65 ANS CONCERNÉS PAR L’ÉLARGISSEMENT
Les plus de 65 ans seront pour l’instant la seule catégorie à voir son " passe sanitaire " conditionné à l’injection d’une troisième dose. La question du public ciblé par cette extension était cruciale et plusieurs possibilités ont été envisagées.
Une autre option aurait été de la rendre nécessaire à toutes les personnes qui y sont pour le moment " éligibles " : les plus de 65 ans, les personnes à " très haut risque " de formes graves, celles atteintes de " comorbidités " ou " immuno-déprimées ", mais aussi les " soignants ", " aides à domicile " et pompiers.
Les personnes ayant reçu une dose de " Janssen " le sont aussi.
Problème : techniquement… C’est presque impossible ou du moins très compliqué, puisque le « QR code » ne contient pas d’informations sur l’état de santé ou la profession.
« Au moment où l’on se fait vacciner, on ne déclare pas une pathologie annexe explique Serge Slama, professeur de " droit public " à l’Université Grenoble Alpes et membre du « Centre de recherches juridiques » (CRJ).
Comment on identifie donc les personnes vulnérables qui ont besoin d’une troisième dose ? ».
Impossible de savoir, par exemple, si le détenteur d’un « QR code » est porteur d’une pathologie annexe.
" Pour ajouter cette information dans le " passe sanitaire ", il faudrait passer par la Cnil. Cela pose aussi des questions éthiques, on ne peut intégrer le poids pour les obèses, par exemple ", avance Piotr Chmielnicki, consultant en " cybersécurité ".
« Intégrer une information de santé supplémentaire au " passe " induit un risque supplémentaire de fuite de données médicales », considère Gaëtan Leurent, chercheur en " cryptographie et sécurité " à « l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique » (Inria).
Des questions qui ne se posent pas en exigeant le rappel après 65 ans : « La date de naissance fait déjà partie des informations contenues dans le " passe sanitaire " », souligne le chercheur de l’Inria. C’est donc facile à mettre en place : six mois après la deuxième dose, si on n’a pas le rappel et qu’on a plus de 65 ans, l’application déclare le " passe " invalide ».
Restait aussi l’éventualité de conditionner le " passe sanitaire " au rappel pour toute la population.
" On est nombreux à attendre l’extension de la troisième dose au-delà des catégories à risque ", a affirmé sur " France Inter " Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses de l’Hôpital Saint-Antoine ce 9 novembre.
Mais l’idée ne fait pas consensus.
Dans un avis " mis en ligne " lundi soir, la " Haute autorité de santé " estime qu’il n’y a " pas lieu pour le moment de modifier ses recommandations quant à la pertinence d’un rappel en population générale, même s’il est probable que celui-ci soit nécessaire ultérieurement ".
Margot BRUNET
Sébastien GROB
Marianne.fr