Prix Nobel : " Une physique des trous noirs est en train de naître "

, par  DMigneau , popularité : 0%

Prix Nobel : " Une physique des trous noirs est en train de naître "

Ann Ronan Picture Library / Photo12 via AFP

Le Prix Nobel de physique a mis cette année à l’honneur les trous noirs. La physicienne Catherine Bréchignac, ancienne présidente du CNRS, secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie des sciences, revient sur l’origine de leur découverte et sur les travaux des trois scientifiques récompensés, prélude à une nouvelle physique.

Les " trous noirs ’ sont " nobélisés ".

Mardi 6 octobre, l’illustre Académie suédoise a en effet primé trois scientifiques pour leurs travaux sur ces fascinants " objets célestes ". Tout d’abord l’immense mathématicien britannique Roger Penrose, théoricien de leur formation.

L’Américaine Andrea Ghez et l’Allemand Reinhard Genzel ont - quant à eux - déniché un imprévisible " trou noir " d’une taille gigantesque au cœur de notre galaxie.

Une découverte qui s’inscrit dans la longue histoire d’une recherche qui ne fait pourtant que commencer, comme nous l’apprend la physicienne Catherine Bréchignac, secrétaire perpétuelle honoraire de « l’Académie des Sciences » qui vient de publier " La sardine et le diamant ", une réflexion sur l’utilité de l’ordre et du désordre.

Dans la société comme dans l’univers.

Marianne : Le « prix Nobel » vient de consacrer ce type " d’objet céleste " comme une réalité physique, mais c’est quoi un " trou noir " ?

Catherine Bréchignac : Depuis Newton qui a compris avec " la pomme " la chute des corps, on sait qu’il y a une interaction entre les masses.

Un siècle plus tard, en 1783, John Michel, professeur à Cambridge, se pose une question : une masse pourrait-elle devenir tellement grosse que son attraction interdirait à tout corps de s’en libérer ?

Il calcule la vitesse de libération qui doit être inférieure à la vitesse de la lumière et montre que de telles masses sont envisageables. On en est resté à cette supposition jusqu’à l’arrivée d’Einstein qui, avec la théorie de la relativité générale, a changé le paradigme de la gravitation.

En 1916, l’Allemand Karl Schwarzschild a trouvé une solution aux équations gravitationnelles d’Einstein lui permettant de calculer, pour des masses singulières, le rayon de la sphère au-delà duquel rien ne puisse s’en échapper.

Ensuite, Roger Penrose a montré en 1965 que ce genre d’objets devaient exister comme étant dus à l’effondrement d’étoiles sur elles-mêmes, qui ont pris le nom de " trous noirs ".

Marianne : Il a inventé pour cela de nouveaux outils mathématiques utilisés dans la logique de la relativité.

Catherine Bréchignac : Oui, ces outils lui ont permis de démontrer que la formation des " trous noirs " était une prédiction robuste de la théorie générale de la relativité - comme l’a dit le « comité Nobel » - et cela découlait de cette logique plus ancienne qui laissait penser à l’existence de ce type d’objet dans l’univers.

Ont alors commencé des recherches et on a trouvé des " petits trous noirs ", d’une taille de quelques masses solaires à quelques dizaines, en observant leur interaction gravitationnelle avec des étoiles visibles, ces dernières tournant autour d’un centre invisible.

Marianne : Pourquoi Penrose est-il primé aujourd’hui alors que sa démonstration remonte à plus de cinquante ans ?

Catherine Bréchignac : Cela montre le temps qu’il faut pour faire « de la science ». Penrose a construit des outils mathématiques pour élaborer sa théorie et ensuite, il a fallu mettre des expériences en face pour montrer sa validité.

Avec des télescopes de plus en plus performants, on avait commencé à entrevoir quelques " trous noirs " quand, dans les années 1990, Andrea Ghez et Reinhard Genzel - les deux autres primés - ont trouvé au centre de la « Voie lactée », notre galaxie, un énorme " trou noir " de quatre à cinq millions de masses solaires.

Sa formation était incompréhensible car ne pouvait pas provenir d’une " simple étoile " s’effondrant sur elle-même. Depuis, bon nombre de " trous noirs " supermassifs ont été repérés au centre des galaxies. On se retrouve ainsi avec des " petits " trous noirs stellaires et des " super-massifs ", mais entre les deux, rien !

Est-ce donc deux matières différentes ?

La même ?

On ne sait pas.

Tout récemment, grâce aux antennes " Ligo " et " Vigo ", l’émission d’ondes gravitationnelles provenant de la fusion de deux " trous noirs " a été détectée indiquant une masse déjà supérieure à celles des " trous noirs " stellaires. Une physique des " trous noirs " est en train de naître et ce « prix Nobel » a voulu récompenser l’origine de cette physique.

Si Scharzschild avait encore été vivant, il l’aurait eu également. Mais en l’accordant à deux tranches d’âge différentes, on montre ce temps qu’il faut pour « faire de la science ». Depuis le début de la gravitation, on n’a fait qu’avancer, progresser dans la compréhension de l’interaction gravitationnelle, même si on n’a encore peu compris la matière !

Marianne : En fait, pour primer le théoricien, il faut que la technologie permette aux expérimentateurs de valider sa théorie...

Catherine Bréchignac : Exactement, et en cherchant ce que le théoricien avait prévu, on a trouvé autre chose : ces " trous noirs " super massifs qui ne sont pas encore expliqués.

Il va falloir avancer ! Ce « prix Nobel » est particulièrement intéressant car il montre que la science se construit collectivement petit à petit.

Marianne : D’autant que ce " trou noir " au centre de la galaxie, comme les autres, on ne l’a en réalité pas encore vraiment vu. On ne dispose que d’indices de sa présence à ses alentours.

Catherine Bréchignac : Certes, et on est en train de réfléchir à des moyens d’en trouver des traces...

Mais comment voulez-vous voir ce " trou noir " ?

On ne peut pas envoyer des sondes qui seraient absorbées. On le voit par ses effets, par les forces de gravitation qui font que les objets tournent de plus en plus vite quand ils s’en rapprochent, attirés à l’intérieur. Celui-ci a toutefois la particularité de tourner sur lui même et s’il tourne extrêmement vite, il pourrait expulser de la matière, comme un manège qui éjecte des corps.

Les regards des scientifiques à travers leurs instruments l’auscultent avec attention.

Brice PERRIER

Marianne