Le monde d’après ne se fera pas sans les peuples dits " d’Outremer "

, par  DMigneau , popularité : 0%

Le monde d’après ne se fera pas sans les peuples dits " d’Outremer "

Alors que se tiendra le 27 août 2020, le procès de militants anti-chlordécone en Martinique, des acteurs et collectifs de la société civile, appellent à une mobilisation le 23 août pour une « Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition ». Ils exhortent à « en finir avec l’arrogance et le déni de responsabilité » de l’État français.

Le 27 août 2020, se tiendra à Fort-de-France en Martinique, le procès de militants poursuivis pour avoir dénoncé l’empoisonnement de terres, de l’eau ainsi que des populations Martiniquaise et Guadeloupéenne au « chlordécone », pesticide organochloré, toxique, persistant et perturbateur endocrinien.

Un empoisonnement à l’origine de conséquences gravissimes et irréversibles tant sur le plan sanitaire (record mondial de cancer de la prostate, prématurité, retard de développement psychomoteur chez les enfants, endométriose sévère...) qu’écologique (rémanence de 7 siècles dans les sols, …), économique (zone de pêche interdite, sols impropres à la production agricole...), social (perte de revenus, chômage...) et culturel (méthode de culture des potagers privés remise en cause, alimentation traditionnelle en péril...).

Un empoisonnement consécutif au système de profit mis en place par de grands planteurs issus des familles esclavagistes qui bâtirent leur fortune à l’ombre du CODE NOIR de Colbert.

Un empoisonnement criminel qui aura duré des décennies avec la complicité de l’État français accordant des dérogations pour un pesticide interdit en France.

Nous, acteurs et collectifs de la " société civile ", apportons notre soutien aux militants violentés et harcelés par les « forces de l’ordre ».

Nous nous mobiliserons en France le 23 août prochain, « Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition ». Cette date a été retenue par l’UNESCO en mémoire du soulèvement général des Africains esclavisés à Saint-Domingue après la cérémonie de Bois Caïman du 14 août 1791.

Elle a également été inscrite par le Sénégal comme " Journée internationale " en mémoire des soldats africains venus libérer la France (“ Tirailleurs Sénégalais ”), dont nul ne devrait oublier que plusieurs centaines, pour des motifs sordides, furent massacrés à Thiaroye le 1er Décembre 1944 par l’Armée française.

« Liberté, Égalité, Dignité » sont les exigences qui ont fédéré à Bois-Caïman. Nous sommes présents pour raviver ces valeurs.

Un constat, un rappel, une sommation

Les départements ou " Régions français d’Outre-Mer " (DROM), les " Collectivités d’Outre-Mer " (COM) et les " Terres australes et antarctiques françaises " (TAAF), font de la France la deuxième puissance maritime mondiale derrière les Etats-Unis avec une « Zone Économique Exclusive » de 11 000 000 km2.

Et c’est bien grâce à ces territoires que la voix de « l’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la mer » (IFREMER) compte aujourd’hui au sein de « l’Autorité internationale des fonds marins » basée à Kingston en Jamaïque.

Ces terres " ultra-périphériques " de « l’Europe » ont fait la richesse économique du monde moderne et la richesse de la France, en particulier. Une richesse arrachée par la force, sur fond de colonisation, d’esclavagisme, de travail forcé, de déportations, de destructions de vies humaines, et d’écocides.

Des crimes que « l’État » peine à reconnaître et pour lesquels justice n’a pas encore été rendue.

Jamais la France n’a été aussi riche, mais ses habitants se paupérisent.

Et c’est encore plus vrai pour les populations " afro-descendantes " et/ou originaires des anciennes colonies.

Selon l’Insee, 14,7 % de la population de l’hexagone vivaient sous le « seuil de pauvreté » en 2018, soit 9,3 millions de personnes.

L’institut établit que les inégalités de niveau de vie sont encore plus prononcées dans les DROM qu’en hexagone. En effet, en 2017, le taux de pauvreté (basé sur le " seuil médian national ") s’élevait à 33 % en Martinique, à 34 % en Guadeloupe.

En Guyane, c’est la moitié de la population (53 %) qui vit sous le « seuil de pauvreté », 42 % à La Réunion, et 77 % à Mayotte.

Le 26 septembre 2017, la « Commission nationale consultative des droits de l’Homme » (CNCDH) a rendu un avis relatif à " la pauvreté et à l’exclusion sociale dans les départements d’outre-mer " disant :

" De tous les territoires de la République, les DROM-COM sont, sans conteste, les espaces où la pauvreté est la plus prononcée. (…)

La Commission espère proposer des pistes de réflexion et des solutions durables à un problème structurel, qui n’est pas sans rapport avec les différents mouvements sociaux secouant régulièrement ces territoires. "

" La pauvreté est encore renforcée par un coût de la vie particulièrement élevé. En raison de la faiblesse des productions locales et de l’importance du marché de l’importation tenu par un oligopole de la grande distribution, les produits de consommation sont plus coûteux Outre-mer. (…). »

En effet, selon l’Insee, en 2015, en prenant comme référence le “ panier métropolitain ”, les prix sont en moyenne supérieurs à ceux de l’hexagone de 37 % à La Réunion, 42 % en Guadeloupe, 45 % en Guyane et 48 % en Martinique.

Des populations ignorées, méprisées, et violentées lorsqu’elles osent dénoncer un monopole absolu

Malgré une forte répression policière (souvent mortelle), judiciaire et étatique, dès le 19è siècle, plusieurs mouvements sociaux et politiques se sont élevés dans tous les DROM-COM d’aujourd’hui pour dénoncer ces inégalités sociales et l’application d’un droit dérogatoire résultat de pratiques coloniales qui influent sur la " gouvernance " publique.

Nous le savons, les sociétés " ultramarines " ont été fondées dans le contexte de l’idéologie raciste. Où notamment, les " békés ", descendants des premiers colons esclavagistes – une minorité représentant, par exemple, à peine 1 % de la population Martiniquaise – ont maintenu (avec le concours de « l’État ») leur position en tant " qu’élite " économique et sociale et l’étendent dans quasiment tous les DROM-COM.

En 2009, en Martinique, les " békés " possédaient 52 % des terres agricoles, 40 % de la " grande distribution ", 50 % du commerce d’importation alimentaire, 90 % de l’industrie agro-alimentaire.

Et en 2018, treize familles liées aux " Outre-mer " figuraient au classement annuel des 500 premières fortunes professionnelles de France du magazine " Challenge ", notamment le groupe " Bernard Hayot " et le groupe " Karibea " (famille Fabre).

Ceci basé sur un système de surexploitation baptisé PWOFITASYON depuis le mouvement social majeur démarré fin 2008 en Guyane, amplifié en Janvier 2009 par la Guadeloupe et qui a essaimé en Martinique et à la Réunion en Février et Mars 2009.

Une contestation qui se réactive régulièrement, comme en 2011 à Mayotte, 2017 en Guyane, 2018 à La Réunion, puisqu’aucune solution pérenne n’est apportée.

Qui peut nier que tout cela est le reflet du racisme institutionnel hérité d’un régime colonial ?

Rappelons la chronologie du fait esclavagiste racialisé dans les territoires conquis par la France :

- 1685, publication de l’édit instituant l’esclavage racialisé dans les colonies françaises (« Code Noir »),

- 1791, les captifs détenus en esclavage à Saint-Domingue se libèrent.

- 1794-1802 éphémère abolition française de l’esclavage,

- 1825-1952 la France contraint Haïti (ex Saint-Domingue) sous menace de guerre, à indemniser ses colons esclavagistes durant toute cette période, sans jamais y mettre fin malgré les abolitions, et sans jamais rembourser cet indu aux haïtiens.

Pour mémoire, ce sont les captifs africains qui se sont libérés à Saint-Domingue qui ont provoqué l’abolition française de l’esclavage de 1794, puis qui ont vaincu l’armée de Napoléon envoyée en 1802 pour rétablir l’esclavage, et qui ont pris leur indépendance en 1803 sous le nom autochtone d’ " Haïti ".

Ce rançonnement abject d’Haïti pour sa liberté, baptisée sournoisement " dette " néo-coloniale, conduit la plus productive des colonies à la ruine !

La France a une lourde responsabilité dans l’état de pauvreté dans lequel se trouve la population haïtienne : elle a entravé le développement de son économie et hypothéqué son avenir.

L’absence de réponse à la « Question écrite » adressée au ministre des affaires étrangères à propos d’Haïti, par la députée de Guyane, Christiane Taubira, le 1er janvier 2003 nous en dit long. Car, après avoir établi le constat, elle préconise : " Il est juste de restituer l’intolérable indu. (...) procéder, au nom du Gouvernement français, à l’abrogation du traité du 18 février 1838 et à la restitution du tribut versé ".

- 1848-1849, la France, dans ses anciennes colonies (Martinique, Guadeloupe, Guyane, La Réunion…), affranchit les esclaves et indemnise les colons,

- 1946, la France, dans ses nouvelles colonies (Afrique, Asie), finit par abolir le travail forcé alors que le « Bureau International du Travail » avait adopté dès 1930 une convention visant expressément à supprimer le travail forcé, cet autre esclavage qui ne disait pas son nom,

- 10 mai 2001, le Parlement français adopte la Loi « Taubira », qui reconnaît la traite négrière transatlantique et l’esclavage des Africains comme constitutifs d’un " crime contre l’humanité ".

Soit il y a à peine 20 ans et certainement pas de sa propre initiative.

Pour en finir avec l’arrogance et le déni de responsabilité, une révision de l’iconostase s’impose.

NON, monsieur le président Macron, ce n’est ni Colbert, dont la statue trône devant « l’Assemblée Nationale », ni Victor Schœlcher, dont les statues ont été déboulonnées à la Martinique, en Guyane et en Guadeloupe, qui ont fait " la grandeur de la République ".

Le premier est l’initiateur du « Code Noir » par « l’Édit » de 1685 qui institutionnalise le crime contre l’humanité qu’est l’esclavage colonial, le racialise, et intègre une déshumanisation des personnes " noires " esclavagisées, catégorisées à l’article 44 en " biens meubles ".

Le second, élu d’une « République » qui a constitutionnalisé le crime, a contribué à une abolition qui ne fut qu’un affranchissement général puisqu’assorti, dans les mois suivant, de mesures liberticides pour les nouveaux " libres " et d’une indemnisation des colons esclavagistes (loi du 30 Avril 1849).

Ainsi rétribués pour leur crime passé, ils ont été confortés dans la perpétuation de leur domination économique sans partage.

Monsieur le président, ce sont les captifs eux-mêmes, par leurs incessantes révoltes, occultées dans le discours national français, qui ont insufflé les courants abolitionnistes et forgé la pensée des « droits humains universels » (cf. Anton Wilhelm Amo, Olaudah Equiano, Frederick Douglass, Joseph Anténor Firmin etc.).

Là où vous réduisez stratégiquement les atteintes aux statues à des " actes de vandalismes ", nous vous affirmons qu’il s’agit d’interpellations politiques. Elles sont l’expression d’un écœurement face au racisme systémique " anti-noir " et une invitation à en débattre publiquement et surtout à agir.

Des symboles pour les uns et des insultes pour nous autres.

Ne confondez pas « mémoires » et « glorifications » : la valorisation des périodes sombres ne devrait pas avoir de place dans une république. Quand certains célèbrent les " morts POUR la France ", d’autres pleurent " les morts PAR la France ".

Force est de constater que l’Etat français ne respecte pas ses engagements internationaux dont la " Recommandation générale " 34 du CERD de 2011 relative à la lutte contre les discriminations envers les personnes d’ascendance africaine.

Pas plus d’ailleurs qu’il n’applique sa propre LOI n° 2017-256 du 28 février 2017 : « de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique dont les objectifs affichés sont de :

1 °) Résorber les écarts de niveaux de développement en matière économique, sociale, sanitaire, de protection et de valorisation environnementales ainsi que de différence d’accès aux soins, à l’éducation, à la formation professionnelle, à la culture, aux services publics, aux nouvelles technologies et à l’audiovisuel entre le territoire " hexagonal " et leur territoire ;

2 °) Réduire les écarts de niveaux de vie et de revenus constatés au sein de chacun d’entre eux.(…) »

Nous poursuivrons nos mobilisations jusqu’à l’obtention :

- de la reconnaissance et de la réparation des « crimes contre l’humanité » historiques commis sur nos territoires, de l’arrêt et de la réparation des crimes, écocides et scandales sanitaires contemporains (Guyane : Projet " Espérance ", Réunion : " Leucose Bovine ", Antilles : empoisonnement au chlordécone, Polynésie française : essais nucléaires…).

- de l’enseignement de l’histoire des " afro-descendants " dans le respect de leur expérience historique jusqu’à présent falsifiée par des justifications idéologiques racistes, de la mise en place de « Commissions de la signalétique » visant à assainir " l’Espace Public ", ainsi que du démontage de la scénographie manipulatrice et morbide du " Mémorial’Act " en Guadeloupe, pour que cesse la double apologie de l’impunité du crime et du recel des fruits du crime.

- du respect de notre droit de VIVRE dignement sur nos territoires, dont l’accessibilité pour tous, à l’eau potable, à des services de santé opérationnels, à des alternatives de transports non polluants ; de la priorisation dans les mutations à la « fonction publique » des candidatures d’originaires de ces territoires et de la priorisation dans l’embauche aux candidatures natives eu égard notamment aux dernières déportations (ex : BUMIDOM, " Enfants de la Creuse ") ; de l’adaptation des programmes et cursus aux territoires (BTP, " Énergies renouvelables ", production d’eau potable, " métiers de la mer ", " agro-industrie ", " traitement des déchets " etc.), afin que les étudiants ne soient pas contraints de s’exiler pour accéder à une formation adéquate.

- de la mise en place d’un paysage audiovisuel reposant sur un projet éditorial recentré sur l’outre-mer régional et international, disposant de moyens suffisants et assurant une fidèle représentation de l’ensemble des territoires.

Un projet géré par une direction autonome, en collaboration avec les producteurs régionaux et internationaux ainsi qu’avec les chaînes publiques françaises existantes afin d’assurer une meilleure visibilité des territoires et non un projet conduit à sa perte tel que " France Ô " dont la fermeture, préméditée, aura lieu le 23 août prochain.

Le monde actuel s’est bâti sur la négation de l’humanité de nos ancêtres et au prix de leur sang.

La « Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen » de 1789, excluait de fait, femmes et populations " noires ". Mais c’est avec elles que l’avenir s’écrit.

Lien de l’évènement qui aura lieu le 23 août 2020 « Vibrons ensemble pour la Justice » :

https://facebook.com/events/s/vibrons-ensemble-pour-la-justi/616197692643623/?ti=as

Collectif rédacteur :

Aicha Abdallah, Militante Collectif " Mayotte En Mouvement " France

Amzat Boukari, Historien et militant " panafricaniste "

Association " Aprezan "

Le " Cercle du marronnage "

Collectif " Zéro Chlordécone Zéro Poison " section Paris

" Comité d Organisation du 10 Mai "

" Diivines, lgbtqi+ "

Eddy Cyrilla, Président " Karaib+ "

Jérémy BCN, Activiste écologie décoloniale

Joey Augustinien, Créateur de contenu

Malcom Ferdinand, Chercheur en sciences politiques (CNRS-IRISSO)

" Mouvement International pour les Réparations ", MIR

Mutombo Kanyana, " Université Populaire Africaine "/" Carrefour des Réflexions " et d’ " Actions Suisse "

Priscillia Ludosky, Militante

Scylla Séhébé, Militante anticoloniale

Jobby Valente, Militante - Artiste

Collectif " Vies Volées "

Les Invités de MediaPart