La paix en Casamance menacée par une mine de zircon

, par  DMigneau , popularité : 0%

La paix en Casamance menacée par une mine de zircon

La Casamance vit depuis trois décennies une situation de " ni paix ni guerre ". Ce calme apparent a pu laisser croire que cette région du Sénégal, plus préoccupée par son développement que par son statut, tournait le dos à l’indépendantisme. Mais un projet minier risque de rallumer un conflit jamais vraiment éteint.

La rébellion indépendantiste a beau être divisée, toutes les fractions armées se sont prononcées " contre ". Le projet minier dans le secteur de Niafrang risque de mettre le feu aux poudres.

« Si le gouvernement sénégalais laisse la compagnie australienne démarrer l’exploitation, c’est une déclaration de guerre, les armes parleront », prévient Mamadou Nkrumah Sané.

Même si son autorité politique est contestée par une partie des forces combattantes et que son exil en France, depuis 1991, l’éloigne des réalités du terrain, les déclarations du Secrétaire général du MFDC donnent le ton.

Pour le spécialiste du conflit casamançais, Jean-Claude Marut (1), « le fait que le mouvement indépendantiste soit opposé à l’exploitation de zircon et qu’il menace de reprendre les armes représente une menace pour la paix ».

Pourtant, rien ne semble arrêter la société australienne Astron, basée à Hong Kong. Sur son site internet, elle annonce le démarrage des travaux pour le dernier trimestre de 2017. Les habitants de Niafrang, un petit village de la côte nord de la Casamance, voisin de la Gambie, s’attendent à voir arriver les pelleteuses et les engins de forage début octobre, accompagnés d’un fort contingent militaire.

Déjà, le 30 août dernier, la visite du directeur de la société sur le site a donné lieu à un déploiement de force impressionnant. Engins blindés, commandos investissant la zone comme s’ils pénétraient en terrain ennemi, les quelques habitants qui bloquaient la route, avec des panneaux proclamant « la Casamance n’est pas à vendre », ont pu avoir un avant-goût du climat de tension qui risque de s’installer d’ici quelques semaines.

Depuis qu’elle a connaissance du projet minier, une partie de la population s’y oppose. Elle met en avant la fragilité du milieu naturel sur le futur emplacement de la mine. Le zircon, minerai issu de la composition du granit, utilisé dans une large gamme d’activités, de la joaillerie à l’industrie nucléaire, doit être extrait des sables lourds de la dune qui protège le village des assauts de l’Atlantique.

A ses pieds, s’étend une vaste rizière, assurant la sécurité alimentaire d’une quarantaine de villages.

Le comité de lutte, dirigé par Ousmane Sané, le gérant d’une auberge rurale construite sur la dune, a reçu le soutien de ressortissants européens installés dans le secteur.

Un collectif de scientifiques s’est formé dans le but d’alerter les autorités sur les risques environnementaux que fait peser le projet Astron. Toute cette mobilisation a abouti à la mise en ligne d’une pétition, « L’appel de la dune » (2), réclamant une expertise indépendante avant de démarrer les forages.

Elle compte parmi ses signataires le très influent Jacques Attali, le candidat à la prochaine élection présidentielle Ousmane Sonko, ainsi que le collectif contestataire " Y’en a marre ".

Grosse déception toutefois pour les opposants à la mine, l’ancien ministre de l’Environnement, Haidar el Ali, garde ses distances.

Plus décisif sera, sans doute, le comportement de la branche armée du MFDC.

Bien qu’en sommeil et morcelé en une multitude de groupes rivaux, le mouvement indépendantiste de Casamance n’a pas rendu les armes. Après 35 ans de guerre " de basse intensité ", l’armée sénégalaise, une des plus puissantes de la région, n’en est toujours pas venu à bout.

Les maquisards, repliés sur leurs bases, le long des frontières de la Gambie et de la Guinée Bissau, évoluent comme des poissons dans l’eau parmi les populations diolas, l’ethnie majoritaire en Casamance.

Bien que fragilisés par la présence de l’armée sénégalaise en Gambie, dans le cadre de l’intervention ouest-africaine pour déloger le président Yahya Jammeh, ils disposent toujours de suffisamment d’armes pour harceler les forces sénégalaises.

Rôdés à la guerre de guérilla, ils mènent des opérations éclairs, parfois à la limite du banditisme ; ils frappent puis se retirent dans leurs camps, au milieu de la forêt.

La future implantation minière de Niafrang se trouve à portée de frappes de plusieurs de ces groupes armés. Le plus proche, celui d’un dénommé " Prince ", opère dans le secteur de Diouloulou, la sous-préfecture, à une vingtaine de kilomètres.

Un peu plus loin se trouvent les combattants de Paul Aloukassine, liés à César Atoute Badiate, chef rebelle surtout implanté à la frontière bissau-guinéenne.

Toujours au nord, le camp de Diakhaye, base historique de la rébellion, serait commandé par une figure nouvelle, Fatoma Badji, actuellement engagé dans un processus de rapprochement avec la faction de Kompass Diatta au sud, considéré comme le bras armé de Nkrumah Sané.

Enfin, plus à l’Est, s’étend le fief de Salif Sadio. Ennemi juré du secrétaire général du MFDC et de la plupart des chefs rebelles, il s’est engagé ces dernières années dans des négociations avec l’Etat sénégalais sous la houlette de la Communauté de Sant Egidio, sans résultats concrets.

Réputé proche de l’ancien président gambien Yahya Jammeh, il a perdu avec l’opération sénégalo-ouest-africaine une partie de ses facilités de repli. Mais militairement, l’intervention en Gambie ne change pas fondamentalement la donne, le camp de Salif Sadio, ainsi que les bases de tous les groupes armés dans le secteur, se trouvant en territoire sénégalais.

L’unification de toutes ces factions, toujours souhaitée, jamais atteinte, est souvent considérée comme une étape préalable à un vrai processus de paix.

Robert Sagna, facilitateur au sein d’un Groupe de réflexion pour la paix, estime qu’il est impossible de négocier séparément avec toutes les factions. En même temps, cette réunification pourrait conduire à un renforcement de la branche armée, et c’est à cet objectif que travaille, depuis son exil parisien, Mamadou Nkrumah Sané.

Selon lui, l’exploitation minière à Niafrang pourrait jouer le rôle de catalyseur.

« Des discussions étaient déjà en cours depuis 2014. Elles ont été relancées autour de la question du zircon. C’est l’ennemi qui nous unifiera ! », lance-t-il. Un enthousiasme qui doit être tempéré par les récentes déclarations de Salif Sadio à RFI, rappelant qu’il n’y a pas de rapprochement entre les chefs rebelles. (3)

Une certitude, l’exploitation minière pourra difficilement démarrer sans une protection militaire constante, comme l’a laissé entrevoir la démonstration de force du 30 août dernier, justifiée officiellement par la présence de rebelles dans la zone.

« Nous n’allions pas nous attaquer au directeur d’Astron, affirme le secrétaire général du MFDC, mais lorsque les ouvriers et le matériel arriveront, à ce moment là, Atika - la branche armée du MFDC - fera son travail ».

« L’armée ne pourra pas protéger les installations dans la durée », ajoute-t-il. A l’hostilité des rebelles s’ajoute les liens, les contacts qu’ils entretiennent avec les opposants au projet.

« On peut s’attendre à des opérations spectaculaires de la part des groupes armés, et il n’est pas impossible que la population elle-même, très remontée contre le projet ne mène des actions violentes », prévient Jean-Claude Marut.

Au-delà du rapport de forces militaires, ce qui est en jeu dans l’affaire du zircon, c’est la conception du développement de la Casamance.

« Deux modèles de société s’affrontent : l’un consiste à faire de l’argent le plus vite possible, quelles qu’en soient les conséquences, l’autre à s’engager dans une logique de développement durable et participatif, pour que les générations futures bénéficient du même environnement qu’aujourd’hui », explique Jean-Claude Marut.

Ce chercheur au CNRS rappelle aussi que ce projet minier s’insère dans une longue histoire de pillage des ressources naturelles de la Casamance dans le cadre de la mondialisation, qui s’est prolongée jusqu’à aujourd’hui avec la surexploitation des ressources halieutiques et la destruction de la forêt, pour répondre à une forte demande chinoise.

Pour les scientifiques à l’origine de la pétition, les risques environnementaux ont été sous-évalués. La dune, déjà attaquée par l’érosion et des phénomènes climatiques de plus en plus violents pourrait - selon eux - se trouver encore plus fragilisée par les forages.

Le pompage de l’eau de la nappe phréatique servant à séparer le sable du minerai pourrait entraîner une salinisation des rizières, conduisant à la disparition des ressources alimentaires de plusieurs milliers de personnes, obligée in fine de quitter leurs villages et d’émigrer.

Le géologue sénégalais responsable de l’étude d’impact, Ibrahima Diaw, estime -
quant à lui - que beaucoup de fausses informations sont disséminées par les opposants au projet.

« D’une part, il n’y a aucun risque de salinisation, car le pompage n’est prévu que dans la nappe phréatique profonde, située à plus de 150 mètres sous la surface, et celle-ci n’est pas en contact avec les rizières.

D’autre part, aucun produit chimique n’est utilisé dans le processus d’extraction », rappelle-t-il, s’appuyant sur l’exemple de Bioufout, côté gambien, un site exploité par la même compagnie au début des années deux mille, sur lequel il ne reste - selon lui -aucune trace d’opérations minières.

Ibrahima Diaw a beau jeu de dire que si les opposants veulent une étude d’impact vraiment indépendante, ils n’ont qu’à en faire une.

Qui pourra la financer ?

Prévue pour durer seulement trois ans, l’exploitation de la mine de Niafrang laisse peu de temps pour mettre en place une véritable politique de développement. Ses opposants dénoncent une vision à court terme, ce que conteste le géologue Ibrahima Diaw.

Selon lui, la compagnie a mis un fond social de 240 000 $ à la disposition des populations qui sera géré collectivement par un comité élu. L’exploitation minière sera accompagnée de la construction d’une route, du forage de puits pour l’accès à l’eau potable, de la mise en place d’un éclairage publique et d’une aide à la production et la commercialisation de fruits.

Autant de projets qui pour l’instant, n’existent que sur le papier, mais qui ont réussi dors et déjà à emporter l’adhésion d’une partie de la population.

La compagnie Astron, quant à elle, utilise tous les ressorts de la communication pour faire accepter son projet. Elle a déjà signé un contrat de sponsoring avec l’équipe de football " Casa Sport ", pour un montant de 90 millions de francs CFA sur trois ans.

Jadis haut lieu des revendications indépendantistes, les tribunes du stade de Ziguinchor afficheront désormais leur sympathie pour la firme australienne.

Campagne médiatique aidant, les opposants à l’exploitation minière sont déjà présentés comme des gens qui refusent le développement de la Casamance.

« Les moyens de pression économique sont énormes et l’opinion casamançaise versatile », reconnait un membre de la diaspora à Paris. Raison pour laquelle la mobilisation prend de l’ampleur parmi les casamançais de l’extérieur. « La diaspora a un rôle à jouer, elle peut faire changer les choses », ajoute Amadou Sylla, Président de l’association " SOS Casamance ".

Le MFDC, quant à lui, n’est pas imperméable à la corruption, comme les Sénégalais ont pu le constater à l’époque de Wade, lorsque des émissaires allaient rendre visite à différents chefs de maquis avec des valises remplies de billets de banque.

Les pouvoirs économiques ont certes les moyens d’acheter quelques chefs rebelles, mais il restera toujours des irréductibles, avec la capacité, sinon d’empêcher l’exploitation minière, du moins de la perturber fortement.

L’insécurité, dans la région a déjà obligé la compagnie à plier bagage pendant deux ans. Se lancer dans l’exploitation minière avant d’avoir résolu le conflit pourrait à nouveau plonger la région dans un cycle de violences.

Il n’est peut-être pas trop tard pour se rendre compte qu’un véritable accord de paix fait toujours défaut en Casamance.

François BADAIRE

MediaPart

Notes :

(1) . Jean-Claude Marut, " Le conflit de Casamance ", Karthala, 2010

(2) . https://www.petitions24.net/appel_de_la_dune

(3) . " Casamance : Le chef rebelle Sadio évoque les négociations avec l’État sénégalais ", RFI, 1er juin 2017