Inflation : il y a quarante ans, François Mitterrand annonçait " le tournant de la rigueur "
Inflation : il y a quarante ans, François Mitterrand annonçait " le tournant de la rigueur "
François Mitterrand en 1983. GABRIEL DUVAL / AFP
Le 23 mars 1983, il y a tout juste quarante ans (et un jour), le président " socialiste " amorçait un " tournant " dans son mandat, marqué par la " rigueur budgétaire " répondant en partie à l’impératif bruxellois. Un " tour de vis " qui n’est pas sans rappeler la situation actuelle en France.
Un anniversaire passé inaperçu, mobilisation contre les retraites oblige.
Et pourtant.
Le 23 mars 1983, il y a quarante ans et un jour tout juste, le président François Mitterrand s’adressait solennellement aux Français, sur fond d’augmentation galopante de l’inflation, du chômage et du déficit de la " balance commerciale " de « l’Hexagone ».
Le tout " coulé " dans une logique proche de celle aujourd’hui adoptée par Emmanuel Macron. Quand ce dernier constatait, en « Conseil des ministres » en juin, " la fin de l’abondance ", le chef d’État " socialiste " observait, lui, les " soubresauts d’un monde qui meurt, en même temps qu’un autre naît ".
Des formulations portant les mêmes injonctions : les Français devraient, de gré ou de force, " se serrer la ceinture ".
Voici venu le " tournant de la rigueur ".
En 1983, les maux ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux d’aujourd’hui mais la préoccupation " inflationniste " est au cœur des deux situations.
En 1981, François Mitterrand profite durant deux ans d’un " état de grâce " au cours desquels il s’attache à appliquer scrupuleusement son programme présidentiel : la semaine de 39 heures, la cinquième semaine de congés payés, la retraite à 60 ans, l’augmentation des cotisations patronales, l’augmentation du Smic, les « nationalisations » massives (39 banques, compagnies d’assurances ou entreprises industrielles, pour un total de 90 milliards de francs),…
Sauf que la France pâtit encore du " choc pétrolier " de 1973.
Sa monnaie - le franc - est dévaluée par deux fois durant le début du mandat du " socialiste ", en octobre 1981 et juin 1982, entraînant une inexorable inflation, bien que ramenée au-dessous des 10 % en 1983 par le gouvernement " socialiste ".
De quoi pousser les ménages à acheter des produits autres que français.
À la même époque, pullulent les articles importés, venus du sud-est de l’Asie notamment. Dans son allocution, Mitterrand prend la mesure de l’impact de ces habitudes de consommation : " Sans vous, que pouvons-nous faire ?, interpelle-t-il les Français. Car votre rôle est décisif. Partout où l’on fabrique et partout où l’on crée, partout où l’on achète et partout où l’on échange, dans votre manière de vivre, de consommer et même de voyager, vous devez préférer à qualité égale les productions françaises. »
Un vrai plaidoyer " pro domo ".
Déjà, le dogme de " Bruxelles "
Parallèlement, la hausse du coût de la main-d’œuvre et la baisse du temps de travail incitent les entreprises à " délocaliser " dans une époque où le " libéralisme à tous crins " est hégémonique aussi bien aux États-Unis de Reagan qu’au « Royaume-Uni » de Thatcher, entraînant mécaniquement une hausse du chômage.
En Europe, les premiers jalons du " Traité de Maastricht " de 1992, visant à la création de « l’Union européenne » et d’une monnaie unique, sont posés par le « Système monétaire européen » (SME), né en 1979.
Les règles, déjà rigides, empêchent les pays de dévaluer comme ils le souhaiteraient ; la France en tête.
Mais le gouvernement français, s’il menace régulièrement ses partenaires de sortir du « SME », entend pourtant se plier aux dogmes.
" Le réalignement monétaire décidé à Bruxelles [permettant une troisième dévaluation pour le franc quand le mark allemand était réévalué de 5,50 %, N.D.L.R.] a rendu plus actuelle encore cette interrogation : la politique engagée depuis le mois de mai 1981 est-elle bonne pour la France ? ", questionne à nouveau Mitterrand ce fameux 23 mars, avant de répondre sans hésiter : « Oui. »
Avant qu’un " mais " ne vienne rapidement jouer les " trouble-fête ", sorte de " en même temps " avant l’heure : « Nous n’avons pas voulu et nous ne voulons pas isoler la France de la " Communauté européenne " dont nous sommes partie prenante, la séparer du mouvement qui porte cette Europe à devenir enfin l’un des grands partenaires du monde, comme nous n’avons pas voulu et nous ne voulons pas, quelque réserve que nous fassions, nous éloigner de " l’Alliance atlantique " sur laquelle repose une part de notre sécurité. »
Comprendre : hors de question de sortir du « Système monétaire européen », ce qui aurait pourtant permis au " socialiste " de poursuivre sa politique de relance " keynésienne ".
L’expression, aussi, de la victoire du futur président de la « Commission européenne », Jacques Delors, à l’époque ministre de " l’Économie et des Finances " de François Mitterrand, sur la mouvance " protectionniste " du PS, incarnée par le ministre de " l’Enseignement et de la Recherche " Jean-Pierre Chevènement.
" Robinets coupés "
À ce titre, le " changement de braquet " du chef de l’État est drastique : " Maintenant, nous avons plus que jamais à vaincre sur trois fronts : le chômage, l’inflation, le commerce extérieur. "
Pour ce faire : " Épargner quand on le peut plutôt que de consommer lorsque c’est superflu, c’est l’exigence de base pour servir le pays et préparer son avenir. J’ai chargé Monsieur Pierre Mauroy de préparer cette action. Il a constitué son gouvernement dans cet objet. "
Nouveau sous-titre : il ne faudra dorénavant plus compter sur les finances publiques pour juguler la crise après les milliards dépensés entre 1981 et 1983. De là à voir une analogie avec la formule " il n’y a pas d’argent magique " d’Emmanuel Macron à la suite de sa politique du " quoi qu’il en coûte " durant la pandémie, il n’y a qu’un pas.
Le mot, enfin, qui marquera cette période, est lâché avec toutes les circonlocutions du monde. Il ne s’agit pas " de mettre en œuvre je ne sais quelle forme d’austérité nouvelle, assure Mitterrand. Mais de continuer l’œuvre entreprise, adaptée à la rigueur des temps. "
" Rigueur " ne sera prononcé qu’une seule fois dans cette adresse aux Français.
Mais le terme raisonne encore aujourd’hui.
Lou FRITEL
Marianne.fr