Immigration : Paris et Londres s’embrouillent, « l’Union Européenne » s’efface
Immigration : Paris et Londres s’embrouillent, « l’Union Européenne » s’efface
L’UE, grande absente des tensions migratoires entre Londres et Paris. Claire Serie / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Alors que Boris Johnson demande à la France de reprendre les migrants arrivés au « Royaume-Uni », Gérald Darmanin a annulé la venue des Britanniques à une " réunion de crise " prévue ce dimanche avec les pays voisins et la « Commission européenne ». Cette dernière était la grande absente depuis le début des tensions. Reste à savoir quel rôle sera le sien dans les prochains jours.
Emmanuel Macron appelle « l’Europe » à la rescousse alors que " le ton monte " entre la France et le « Royaume-Uni », après le naufrage qui a coûté la vie à 27 migrants mercredi 24 novembre.
De part et d’autre de la Manche, les gouvernements se renvoient la balle sur la question de leur responsabilité dans ce drame. Alors que le nombre de tentatives de traversées a doublé ces trois derniers mois, Boris Johnson campe sur une " ligne dure " : il enjoint la France à sécuriser davantage ses frontières et plaide pour la négociation d’un accord de réadmission " pour permettre le retour de tous les migrants illégaux qui traversent la Manche ".
Une réunion multilatérale – dont a été exclu le « Royaume-Uni » – doit se tenir ce dimanche 28 novembre à Calais en présence des ministres de l’immigration belge, allemand, néerlandais, et de la « Commission européenne ».
Que faut-il en attendre ?
« Je pressens que la France va demander un renforcement des contrôles aux frontières extérieures de " l’Union Européenne ". Parce qu’avant d’arriver à Calais, les migrants sont entrés par l’Espagne, l’Italie ou la Hongrie », observe Matthieu Tardis, chercheur à l’Ifri.
Emmanuel Macron a déjà appelé ses " partenaires " à renforcer le dispositif " Frontex ", « l’Agence européenne de gardes-frontières et de garde-côtes », aux frontières extérieures de « l’Union Européenne ».
Des gardes-côtes européens pourraient aussi être déployés dans la Manche pour suppléer les moyens français. Une politique de sécurisation accrue qui pose question, selon Matthieu Tardis : « la situation à Calais aujourd’hui montre justement l’échec de la sécurisation comme seul moyen de prévenir les traversées de la Manche. C’est la même chose en Méditerranée. Les gardes-côtes de " Frontex " patrouillent énormément, ce qui n’empêche ni les traversées ni les naufrages », rappelle le chercheur.
L’ombre du " Brexit "
Mais « il y a aussi une volonté de la France " d’européaniser " la situation à Calais pour parvenir à une solution politique », explique Camille Le Coz, chercheuse à " l’Institut des Politiques Migratoires ".
« Depuis le " Brexit ", il est nécessaire de changer de système à Calais », conseille-t-elle.
« Jusqu’au " Brexit ", les règlements européens ouvraient une possibilité pour certains migrants de rejoindre le " Royaume-Uni " s’ils y avaient de la famille. Cela concernait quelques centaines de personnes mais c’était une possibilité légale de rejoindre le " Royaume-Uni " », décrypte Matthieu Tardis.
Ces voies légales font aujourd’hui défaut.
Certains appellent donc « l’Union Européenne » à soutenir une re-négociation des " accords du Touquet ", passés entre la France et le « Royaume-Uni » et portant sur l’immigration clandestine. Ces accords prévoient que la frontière avec la « Grande-Bretagne » soit installée à Calais, contre une aide financière et matérielle pour contrôler les départs illégaux.
Mais, depuis le " Brexit ", « Calais est devenue une frontière extérieure de " l’Union Européenne ". C’est l’une des raisons majeures pour renégocier les accords », estime auprès de " Marianne " Patrick Stefanini, ancien « secrétaire général » du ministère de l’Immigration.
" D’une part, si les Britanniques veulent que l’on renforce la surveillance des côtes, il faut qu’ils augmentent leur contribution financière. Et cela ne peut pas suffire, il faut obliger Londres à créer des bureaux d’immigration et d’asile à Calais afin d’enregistrer les demandes ", martèle Patrick Stefanini.
Un vœu pieux pour le moment, qui obligerait la France à prendre en charge les migrants se trouvant sur le territoire dans l’attente de la décision du « Royaume-Uni », ce qui n’est pas le sens des politiques publiques menées par Paris depuis 2016 et qui consistent à empêcher la sédentarisation des migrants.
Carences européennes
" Une partie de la solution serait de mettre en place une voie légale de migration pour ceux qui voudront à tout prix rejoindre l’Angleterre ", reprend Matthieu Tardis.
Mais l’afflux de migrants à Calais n’est pas la seule conséquence de " l’appel d’air " vers le « Royaume-Uni ».
" Calais illustre les carences du système européen en matière de migration. Cela renvoie à l’urgence de réformer le système qui fait qu’il n’y a pas un système d’asile en Europe mais 27 ", remarque Camille Le Coz.
Au fond, la France et « l’Europe » butent sur ce qui leur fait défaut depuis plus de vingt ans en matière migratoire : le manque d’harmonisation des politiques d’accueil.
« La France et Emmanuel Macron doivent prendre la présidence de " l’Union Européenne " au 1er janvier 2022. Ce sera l’un des défis les plus importants. Il y a urgence, on le voit à l’Est en Biélorussie, au Sud avec l’Italie, l’Espagne, la Grèce et plus au Nord avec Calais », conclut la chercheuse.
La réunion prévue ce dimanche pourrait être la première étape d’un projet que « l’Europe » n’a jamais réussi à prendre " à bras-le-corps ".
Pierre LANN
Vincent GENY
Marianne.fr