François Rocard, astrophysicien : la découverte d’eau sur la Lune " pourrait être profitable sur le plan financier "
François Rocard, astrophysicien : la découverte d’eau sur la Lune " pourrait être profitable sur le plan financier "
De l’eau sur la Lune, cela ne veut pas dire qu’on peut y trouver de la vie, selon François Rocard. AFP
Après l’annonce par la NASA de la découverte d’eau sur la Lune, l’astrophysicien François Rocard décrypte ces nouvelles données et les espoirs qu’elles suscitent pour l’exploration spatiale.
Deux études parues le 26 octobre dans la revue " Nature Astronomy " viennent de permettre à « l’agence spatiale américaine » de se réjouir d’une " découverte passionnante au sujet de la Lune ".
On y a détecté de l’eau, en quantité bien supérieure à ce que l’on estimait jusqu’à présent. Cela pourrait s’avérer essentiel dans l’exploration spatiale alors que la NASA ambitionne le retour de l’Homme sur la Lune en 2024, en prélude à un départ pour Mars, comme nous l’explique François Rocard, responsable du programme d’exploration du système solaire au « Centre national d’étude spatiales » (CNES).
Marianne : Que nous apprennent ces deux publications évoquant la présence d’eau sur la Lune ?
François Rocard : La première présente la détection d’eau réalisée à l’aide d’un télescope aéroporté à infra-rouge. Alors qu’on ne parvenait pas jusqu’ici à distinguer l’eau (H2O) de l’hydroxyle (OH), on a pu cette fois identifier en surface de la Lune les caractéristiques de la molécule H2O.
Cela permet de confirmer qu’il s’agit bien d’eau, mais pas de glace car les régions observées se situent dans des latitudes moyennes ou hautes, des zones éclairées par le Soleil où la température varie beaucoup, de - 180 degrés la nuit à plus de 120 degrés le jour.
Marianne : Cette eau est-elle liquide ?
François Rocard : Non, car l’eau liquide ne peut pas exister sur la Lune, faute d’atmosphère et de pression. Elle ne peut y être que sous forme " d’eau de constitution " de roche, de glace ou de gaz en cas de " sublimation ".
En l’occurrence, c’est un peu différent car on est face à des molécules d’eau individuelles piégées dans de la roche ou des billes de verres, ces minéraux fondus par la chaleur lors de l’impact de météorites qui constituent la moitié de la poussière présente sur la Lune.
Mais les concentrations de H2O que l’on a trouvé sont de 0,2 gramme par kg, donc il y en a très peu et je ne vois guère de perspectives pour exploiter cette eau sur la Lune.
On espère en trouver beaucoup plus sous forme de glace au fond de certains cratères présents aux pôles.
La seconde publication parue cette semaine conforte d’ailleurs cette idée.
Marianne : Pourquoi ?
François Rocard : Grâce à une simulation des zones froides et de la topographie à petite échelle de la surface de la Lune, les auteurs ont pu conclure qu’il existait beaucoup de micro cratères, des petits trous de quelques centimètres de largeur où se trouverait de la glace d’eau.
Jusqu’alors, on n’en avait détecté que dans de grands cratères, mais, avec cette découverte, le volume estimé de glace augmente considérablement : 400 000 km² de surface lunaire semblent aujourd’hui en contenir, dont 60 % se trouve au pôle Sud.
Marianne : D’où vient cette eau ?
François Rocard : Très probablement de l’impact de comètes et d’astéroïdes hydratées durant 4,5 milliards d’années.
Marianne : N’a-t-elle pas pu être produite directement sur la Lune ? Certains parlent d’interactions entre des particules du vent solaire et des roches lunaires de surface...
François Rocard : C’est le sujet de ma thèse et je vous assure que l’implantation des ions d’hydrogène et d’oxygène, qui peuvent effectivement provenir respectivement du " vent solaire " et de la roche lunaire, ne synthétise vraiment pas beaucoup d’eau.
Certes, c’est théoriquement possible, mais quantitativement négligeable par rapport à ce qui provient des comètes et des astéroïdes, voire nul car l’eau se trouve au fond des cratères qui ne voient jamais le Soleil et ne sont pas bombardés par le " vent solaire ".
Marianne : D’où qu’elle vienne, la présence de cette eau pourrait-elle signifier la possibilité d’une vie sur la Lune ?
François Rocard : S’il faut de l’eau pour avoir de la vie, cette eau doit être liquide et pas sous forme de glace ou de gaz.
On trouve partout de l’eau dans l’univers, y compris à la surface du Soleil, mais l’eau liquide est rarissime. Sans atmosphère, il n’y en a pas sur la Lune, qui ne connait donc pas la vie. La découverte d’une présence d’eau glacée plus importante n’y change rien, mais la NASA s’y intéresse pour des raisons d’exploitation. Cela pourrait être profitable sur le plan financier.
Marianne : En disposant d’eau pour les futures missions spatiales sur la Lune ?
François Rocard : Eventuellement, mais il existe surtout depuis longtemps l’idée de faire d’une station spatiale lunaire une " station-service " pour faire le plein d’eau avant d’aller sur Mars.
Elle pourrait aussi fournir du carburant comme de l’oxygène liquide.
Marianne : Quel serait l’intérêt d’une telle escale située à un millième de la distance entre la Terre et Mars ?
François Rocard : L’intérêt n’est pas de faire une escale mais d’éviter d’emporter le carburant et l’eau nécessaire depuis la Terre. Ce qui coute extrêmement cher, c’est l’énergie indispensable pour s’extraire de notre planète, du fait de la gravité.
On consomme énormément de carburant pour cela. Depuis une " plateforme orbitale " lunaire, on pourrait l’éviter.
Marianne : En multipliant les voyages vers Mars sans avoir à revenir sur Terre ?
François Rocard : Oui, mais la faisabilité de cette stratégie n’est pas démontrée. Tant qu’on ne sera pas aller au pôle Sud de la Lune pour voir si on peut véritablement exploiter cette glace d’eau, ce ne sera qu’une hypothèse.
D’ici une dizaine d’années, on devrait être fixé.
Brice PERRIER
Marianne