Entre militarisation et visées expansionnistes, le " bras de fer " se durcit en Méditerranée orientale

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Entre militarisation et visées expansionnistes, le " bras de fer " se durcit en Méditerranée orientale

Le navire sismique turc " Oruç Reis ", escorté par une imposante armada de bâtiments militaires - TURKISH DEFENCE MINISTRY / AFP

La bataille pour les hydrocarbures qui se joue dans la Méditerranée orientale n’est qu’un prétexte pour une redéfinition du rapport de forces dans la région. Mais en militarisant la réponse, certains s’inquiètent qu’éclate un conflit ouvert.

Escalade.

Le mot, plus que jamais, est de mise dans la Méditerranée orientale. Depuis ce lundi 10 août, la région est en proie à une montée des tensions, doublée d’une militarisation importante, sur fond de bataille pour les hydrocarbures et d’accords économiques entre les pays du pourtour méditerranéen.

Tout a commencé quand le navire sismique turc " Oruç Reis ", escorté par une imposante armada de bâtiments militaires, a entrepris « des recherches » dans des eaux qu’exploitent la Grèce.

Ce dernier a, ensuite, mis le cap à plusieurs reprises vers les eaux de l’île de Chypre, divisée entre une partie grecque et une autre turque depuis 1974, avant de retourner dans la zone hellénique.

En réaction, les autorités grecques ont immédiatement déployé leur marine, leur aviation et appelé les réservistes des îles à la mobilisation.

Signe que les tensions inquiètent, le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis (" Nouvelle Démocratie ", droite conservatrice), s’est fendu d’une adresse à la nation ce mercredi, en fin d’après-midi. Il y a loué la " fierté nationale ", a signalé avoir " mis les forces armées en alerte " et " activer la diplomatie ".

C’est pourtant d’abord sur le plan militaire que la Grèce a obtenu un soutien.

Il est venu de la France, qui a renforcé sa présence armée dans la région en envoyant deux avions de chasse " Rafale " et deux bâtiments de la Marine nationale (le porte-hélicoptères " Tonnerre " et la frégate " La Fayette ").

Immédiatement, la Turquie a réagi par l’intermédiaire de son ministre des Affaires étrangères, accusant le Président Emmanuel Macron de " jouer les caïds ".

Quant au Président turc Recep Tayep Erdogan, il a prévenu qu’une attaque contre l’ " Oruç Reis " se payerait " au prix fort "... tout en laissant entendre qu’un incident s’était déjà produit - ce que signalent également différents sites proches de l’armée et des nationalistes grecs, comme " ArmyVoice ".

Face à cette escalade et au risque qu’un incident dégénère en conflit ouvert, l’Allemagne, qui détient actuellement la Présidence de l’UE, tente un effort de médiation. La chancelière Angela Merkel s’est ainsi entretenue jeudi avec le chef de l’État turc et le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis.

Elle a également appelé Paris, Athènes et Ankara à éviter " l’escalade ".

La France " bombe le torse ", l’Allemagne appelle au dialogue

Car dans le contexte de militarisation extrême, l’initiative française suscite des craintes.

" Pour défendre les intérêts français en Méditerranée orientale comme en Afrique, Emmanuel Macron est prêt à militariser afin de dissuader le comportement agressif de la Turquie. Dans ce contexte, un conflit peut éclater ", explique ainsi Panayiotis Tsakonas, Professeur de relations internationales et chercheur au centre " Eliamep ".

A ses yeux, " Angela Merkel cherche, au contraire, la désescalade et à appeler les deux parties au dialogue. "

L’UE saura-t-elle donc trouver une voix pour répondre à la Turquie ?

Les Ministres des Affaires étrangères de « l’Union Européenne » en débattent ce vendredi lors d’un « Conseil » convoqué en urgence par Josep Borrel, le chef de la diplomatie de l’UE.

Initialement, la question de la Biélorussie était à l’ordre du jour, sous la pression des États baltes et de la Pologne. Mais Athènes a insisté pour faire figurer au programme des discussions les tensions dans la Méditerranée orientale. " L’enjeu n’est pas bilatéral, mais européen et international ", souligne le chercheur.

Derrière la bataille pour les hydrocarbures, c’est une véritable redéfinition du rapport de forces qui se joue dans la Méditerranée orientale. Tout son pourtour est déstabilisé :

- la Syrie est en guerre ;

- au Liban, le gouvernement a démissionné ;

- le conflit perdure entre Israël et Palestine.

De nombreux accords ont été signés entre la Grèce, Chypre, le Liban, l’Italie et l’Égypte, pour l’exploitation des zones maritimes. De son côté, la Turquie a signé un accord considéré contraire au « droit international » avec la Libye. Mais elle est bien décidée à se positionner dans la région.

" La Turquie d’Erdogan repose sur le régime d’un seul homme. Il a le sentiment d’être exclu des évolutions dans la région. Il réagi donc. Il veut que la Turquie joue un rôle central, hégémonique ", explique ainsi le chercheur Panayiotis Tsakonas.

Sia Anagnostopoulou, ex-ministre des affaires européennes grecque, désormais députée (" Syriza ", " gauche "), et professeure d’histoire à l’Université Panteion d’Athènes, ajoute : " Erdogan cherche à se constituer un empire maritime. Il militarise en outre toutes les questions. C’est un vrai problème dans une région de plus en plus déstabilisée. "

Fabien PERRIER

Marianne