" Ensemble ", " Nupes " : quand le ministère de l’Intérieur décide de la lecture des résultats des législatives
" Ensemble ", " Nupes " : quand le ministère de l’Intérieur décide de la lecture des résultats des législatives
Jean-Luc Mélenchon envisage de saisir le « Conseil D’État ». Sebastien SALOM-GOMIS / AFP
Dans les résultats officiels des élections législatives, les scores de la coalition de gauche seront dispersés, ce qui n’est pas le cas d’ " Ensemble ", l’union qui soutient Emmanuel Macron. Problème, la décision dépend de la seule interprétation du ministère, qui est juge et partie.
La " Nupes " ne décolère pas.
« Nous découvrons que le ministère de l’Intérieur refuse d’enregistrer la " Nouvelle Union populaire " pour les déclarations de candidature. Effacer ses adversaires du tableau des résultats, est-ce encore la démocratie ? », s’est alarmé Jean-Luc Mélenchon, dans un " tweet " publié le 16 mai.
Celui qui espère gouverner à Matignon dénonce une décision du ministère de l’Intérieur, qui n’a pas reconnu l’alliance de gauche comme une " nuance politique " officielle pour les législatives.
En déplacement à Nantes le lendemain, le leader de " la France Insoumise " a dénoncé " un système de duperie permanente ", visant " à pouvoir, le soir du premier tour, minorer la percée que nous aurons opérée ". Il menace de saisir en urgence le « Conseil d’État » pour " demander que nous soyons reconnus dans notre existence ".
Quel est le problème ?
Lorsqu’un candidat présente son dossier en préfecture, il choisit librement son " étiquette politique ", qui reflète ses propres convictions. Charge ensuite aux préfets de le ranger dans une " nuance politique ", en fonction d’une grille qui a été préalablement définie par le ministère de l’Intérieur.
C’est par le biais de cette classification officielle que seront présentés les résultats. Il s’agit d’un choix " discrétionnaire ", que le ministère justifie en considérant que " l’attribution des nuances politiques est un préalable essentiel à l’analyse électorale et à la lisibilité des résultats des élections pour les citoyens ".
Ministère de l’Intérieur
C’est cette grille qui est contestée par Jean-Luc Mélenchon et ses alliés de la coalition de gauche. Elle est intégrée dans une circulaire, signée de la main de Gérald Darmanin, et adressée aux préfets le 13 mai dernier.
Ce tableau comprend 19 nuances, allant de " divers extrême gauche " à " divers extrême droite ". La " Nupes " n’est pas reconnue. Le « Parti communiste », « la France Insoumise », le « Parti socialiste » ont leur propre case et « Europe-Ecologie-Les Verts » est rangé dans la nuance " Écologistes ".
Idem pour la droite, " Les Républicains " et " l’Union des démocrates et indépendants " (UDI) sont distingués, même s’ils sont alliés dans certaines circonscriptions.
Ce n’est pas le cas d’ " Ensemble ! ", la " confédération " qui soutient Emmanuel Macron.
" Renaissance " (le nouveau nom de " LREM "), le " Modem ", " Horizons " et les autres formations qui soutiennent le président, figurent au sein d’une même nuance. Ce n’était pas le cas dans une première version, qui apparaît dans une circulaire du 27 avril. " La République en Marche " et le " Modem " avaient chacun leur case.
C’est ce changement que dénonce la coalition de la gauche.
Qu’est ce ça change ?
Cette grille va affecter la manière dont les résultats seront publiés officiellement par le ministère de l’Intérieur. Le score des candidats de la " Nupes " sera éparpillé entre plusieurs nuances, quand celui d’ " Ensemble ! " sera unifié.
Cela peut brouiller la lecture immédiate du scrutin. Toutefois, cela n’empêchera pas les médias et les partis de la coalition de la gauche de publier le résultat de la " Nupes ".
« Il faut relativiser l’ampleur de cette polémique. C’est sensible, mais cela n’a pas à proprement parler de conséquences électorales », indique à " Marianne " Louis le Foyer de Costil, avocat en droit électoral.
Chaque candidat pourra afficher son appartenance à la " Nupes " sur les affiches et les tracts électoraux. Cela n’aura pas non plus de conséquences sur le financement des partis politiques.
Comment se justifie le ministère ?
Selon une circulaire du ministère datée du 16 mai, la nuance " Nouvelle Union populaire écologique et sociale " n’a pas été créée, car elle " réunit des candidats investis de manière indépendante par les partis associés à cet accord ".
Selon le ministère, cela " tend à démontrer la volonté pour ces candidats de rester attachés à leur parti d’origine ". " Ces partis se présentent de manière indépendante, comme en attestent notamment les associations déclarées au titre de l’aide publique et de la campagne audiovisuelle ", ajoute la circulaire.
Selon deux arrêtés publiés au « Journal officiel », chaque parti de la " Nupes " a déclaré séparément vouloir bénéficier de l’aide publique et de la campagne audiovisuelle. Ce qui n’est pas le cas d’ " Ensemble ", qui a fait une déclaration commune.
Les deux situations pourraient donc être différentes, encore faut-il avoir des critères fiables et identiques pour l’affirmer. Or, " il n’y a pas de critère unique pour établir les grilles ", selon Louis le Foyer de Costil.
Les règles sont plus claires pour la deuxième phase du nuançage, lorsqu’il s’agit pour les préfets de classer les candidats dans les nuances déterminées par le ministère.
Que peut faire la " Nupes " ?
La coalition de gauche peut saisir le « Conseil d’État » pour contester la régularité de la circulaire de Gérald Darmanin.
" Les juges pourront vérifier qu’il n’y a pas eu de différence de traitement entre les partis politiques, que tous ont été classés selon la même méthodologie ", explique Louis le Foyer de Costil, avocat en droit électoral.
« Si l’on se penche sur la jurisprudence récente, le " Conseil d’État " exerce habituellement un contrôle assez rigoureux. J’aurais tendance à dire que l’issue d’un tel recours serait assez ouverte », poursuit l’avocat.
Le choix des nuances politiques est régulièrement contesté.
En 2020, la circulaire édictée par Christophe Castaner pour les municipales avait été suspendue par le « Conseil d’État ». Selon cette circulaire, pour être classé parmi la nuance " liste divers centre " des soutiens d’Emmanuel Macron, il suffisait d’être " soutenu " par " LREM ", le " Modem " ou " l’UDI ".
Au contraire, pour intégrer la nuance " liste d’union des partis de gauche " et celle " liste union de droite ", il fallait au contraire être " investi " par deux partis de gauche ou de droite. Cette " exception ", contraire au principe d’égalité selon le « Conseil d’État », aurait pu gonfler artificiellement le score de la majorité dont faisait partie Christophe Castaner.
« Pour établir ces nuances, le ministère de l’Intérieur se retrouve " juge et partie ", c’est donc difficile d’être complètement neutre. Pour éviter le risque d’arbitraire, peut-être faudrait-il réfléchir à confier la détermination des grilles au " Conseil constitutionnel " ou à une autorité indépendante », estime Louis le Foyer de Costil.
Un moyen, peut-être, de remédier à ces polémiques de campagne qui reviennent à chaque élection ou presque. Dans un article scientifique publié en 2020, le docteur en droit public Arthur Braun rappelait que ces polémiques existent depuis 1970 et l’apparition du " nuançage " aux municipales, décidée par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Raymond Marcellin.
Pierre LANN
Marianne.fr