Campagne de vaccination : comment l’administration décourage les médecins remplaçants
Campagne de vaccination : comment l’administration décourage les médecins remplaçants
Alors que de nombreux médecins " généralistes " remplaçants se portent volontaires pour vacciner dans les centres prévus à cet effet, beaucoup finissent par renoncer. La faute à système administratif nébuleux.
Enquête.
Il y a " la bataille " des doses de vaccins disponibles. Le " casse-tête " des rendez-vous sur " Doctolib ". Et puis, il y a le " parcours du combattant " auquel se heurtent les médecins " généralistes " remplaçants pour pouvoir prétendre vacciner en centre de vaccination " Covid-19 ".
" Les médecins généralistes remplaçants ont - par définition - une activité intermittente ", souligne Richard Talbot, docteur dans le département de la Manche et membre de la " Fédération des médecins de France " (FMF).
" Ils seraient donc les plus à même de pouvoir dégager une journée ou une demi-journée pour assurer des vacations en centre de vaccination, alors que nous, médecins installés, sommes pris par des patients non-covid ".
Mais la réalité s’avère bien moins simple. Au point que certains renoncent ou pensent à renoncer. En cause, un système administratif " multicouche " plus que complexe, parfois générateur d’injustices.
Des médecins non reconnus par la " Cnam "
" L’administration française n’est jamais simple, encore moins logique ", glisse un médecin berruyer. Être médecin " remplaçant " consiste à suppléer un médecin dit " installé " pendant ses vacances ou un arrêt maladie. Ce qui signifie aussi : ne pas être reconnu ni même " conventionné " par la « Sécurité Sociale ».
Toute existence de leurs activités, repose sur le médecin qu’ils remplacent.
" Comme nous ne sommes pas conventionnés, la Sécurité Sociale ne nous écrit pas, ne nous informe pas de ses projets " (comme celui des centres de vaccination " Covid ", N.D.L.R), indique Laure Dominjon, président du syndicat " ReaGJIR " et médecin généraliste " remplaçante " dans le Val-de-Marne.
" En clair, les médecins remplaçants pourraient permettre de faire fonctionner les centres de vaccinations, mais ne sont pas mobilisés pour, même si tout cela finit par s’organiser ".
Autre particularité, les médecins " remplaçants " n’ont pas le droit d’exercer en même temps que le " remplacé ", notamment parce que leur vacation implique un emprunt de numéro de sécurité sociale.
Comme s’il s’agissait in fine d’un seul et même médecin.
Un système " kafkaïen " décourageant…
Depuis le début de la campagne de vaccination, il était clair, d’après les modalités de rémunération transmises par le ministère de la Santé, qu’un médecin " généraliste " serait payé par la CNAM (" Caisse nationale d’assurance maladie ") 420 euros pour quatre heures de travail fourni, soit une demi-journée.
Ou 155 euros de l’heure si la demi-journée n’est pas complète.
Quid des médecins " remplaçants ", non reconnus par la Cnam ?
" Il y a eu une période de flottement de deux voire trois semaines où on ne savait pas par quand ni comment nous serions payés ", se souvient Malo Simon, médecin " remplaçant " brestois.
Un moment d’incertitude qui a pu décourager certains volontaires et déposséder quelques centres de vaccination.
Caroline *, qui préfère rester anonyme, est de ceux-là.
" Travailler gratuitement pendant que d’autres sont payés pour faire la même chose et à études égales, ça fout les boules ", résume la jeune Ardéchoise.
" On dit souvent aux médecins qu’ils sont là pour soigner des gens, aider en période de crise… Mais on a besoin de gagner notre vie comme tout le monde surtout quand on est remplaçant et que l’on n’a pas une activité stable ".
Le Dr Antoine Brinquin, " remplaçant " dans le Finistère a lui aussi failli tout arrêter, jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée.
« Ils ont mis en place une " usine à gaz " pour pallier leurs propres carences », s’agace-t-il. Et d’ajouter : " Je crois que ce système kafkaïen peut tout autant décourager de jeunes médecins remplaçants ".
Explications : pour augmenter le nombre de médecins disponibles (puisqu’il est obligatoire de vacciner en présence d’un praticien), la Cnam a autorisé les médecins " remplaçants " à exercer en même temps que leur titulaire, via un contrat " d’adjoint " ou " d’assistant ".
L’objectif ?
Que le " remplaçant " puisse jouir d’un numéro d’assurance maladie pour être rémunéré. Comme il s’agit d’un prêt, c’est le médecin " installé " qui reçoit le remboursement de la Cnam puis le transfère à son médecin " remplaçant ".
Encore faut-il que le médecin habituellement remplacé accepte de signer un contrat " d’adjoint ". " Je n’exerce pas depuis assez longtemps pour demander une telle faveur à l’un des médecins que je remplace ", commente Caroline.
" C’est aussi pour ça que j’ai laissé tomber ".
De son côté Richard Talbot, dans la Manche, juge le système d’une lourdeur excessive et inutile. " Si la Cnam voulait bien y mettre du sien, elle utiliserait notre RPPS (" Répertoire partagé des professionnels de santé ", N.D.L.R), car même les remplaçants en disposent ", souligne-t-il.
" Il faudrait juste envoyer notre RIB en plus, mais ce n’est pas si compliqué. "
... même pour les meilleures volontés
Autre possibilité pour vacciner d’après le site de la Cnam " ameli.fr " : " La structure qui organise le centre de vaccination contractualise avec le professionnel de santé, assure sa rémunération puis se fait rembourser par l’Assurance Maladie des sommes versées à ce titre ".
Une contractualisation qui oblige à passer par une sorte de " recrutement ", avec dans certains endroits, l’exigence de transmettre un " Curriculum Vitæ " ou encore la photocopie des diplômes.
Une procédure dénoncée par de nombreux médecins, notamment sur les « réseaux sociaux », car jugée " inadaptée " pour un simple coup de main ponctuel.
" Cette liste de documents à fournir est de nature à décourager les meilleures volontés ", écrit une internaute sur " Twitter ".
Du côté des étudiants " internes ", eux aussi aptes à la va , les procédures administratives semblent aussi complexes, voire paralysantes.
Dans un mail envoyé début janvier à ses internes, l’AP-HP se range de leur côté et propose des parades pour pallier la " machine administrative ".
" Nous sommes tous d’accord sur le fait que la procédure est lourde, nous appelons de nos vœux sa simplification et relayons votre appel en ce sens ", est-il écrit. " Certains d’entre vous semblent hésiter à s’inscrire car leur carte CPS (carte de professionnel de santé, N.D.L.R) n’est pas à jour. Ne vous inquiétez pas… Vous pouvez participer sans carte CPS à jour, nous utiliserons une carte d’un médecin ".
Reste que beaucoup de centres de vaccination n’ont jamais ouvert - ou ont dû fermer leurs portes rapidement - faute de doses de vaccins.
Signe que les complexités administratives ne sont qu’un frein… parmi d’autres.
Célia CUORDIFEDE
Marianne.fr