Bac Philo 2021 : Est-il toujours injuste de désobéir aux lois ?
Bac Philo 2021 : Est-il toujours injuste de désobéir aux lois ?
CRÉON : Ainsi tu as osé passer outre à ma loi ?
ANTIGONE : Oui, car ce n’est pas Zeus qui l’avait proclamée ! ce n’est pas la Justice, assise aux côtés des dieux infernaux ; non, ce ne sont pas là les lois qu’ils ont jamais fixées aux hommes, et je ne pensais pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre à un mortel de passer outre à d’autres lois, aux lois non écrites, inébranlables, des dieux !
Introduction :
Dans " l’Antigone " de Sophocle, Antigone désobéit à son oncle Créon, le roi de Thèbes et rend les hommages funèbres à son frère Polynice, malgré l’interdiction de Créon.
Se conduit-elle de façon injuste ?
" Injuste " signifie " qui n’est pas conforme à la justice ", à l’équité ; " obéir " signifie se soumettre, accepter, donc " obéir aux lois " signifie agir en conformité avec les lois.
En droit, la loi (du latin " lex ", " legis ") est une règle juridique. La loi dans son sens le plus large correspond à une norme juridique, quelle qu’en soit la nature.
« La loi » est l’ensemble de règles et de normes dans une société donnée. Si « la Loi » n’est pas respectée par les individus, cela peut engendrer des sanctions judiciaires (pénales ou civiles).
Une loi est un acte juridique pris par une autorité précise - en général le « Parlement » - qui est légitime et a les moyens de commander.
Est-il toujours injuste de désobéir aux Lois ?
La question est paradoxale car comment désobéir aux lois, ne pas agir en conformité avec les lois pourrait-il être " juste " puisque les lois expriment " ce qui est juste ".
Comment pourrait-il être " juste ", conforme à l’équité et à la justice, de ne pas obéir à ce qui exprime l’équité et la justice ?
Remarquons la présence de l’adverbe " toujours " qui suggère qu’il ne serait pas toujours " juste " d’obéir aux lois.
Nous verrons dans une première partie qu’il est " juste " d’obéir aux lois, puis dans quels cas la désobéissance aux lois peut être considérée comme " légitime " et nous nous demanderons enfin à quelles conditions il peut être juste d’obéir aux lois.
1. L’obéissance aux lois est une nécessité :
Nous sommes tenus d’obéir aux lois car elles sont censées exprimer ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire.
De plus, dans un régime démocratique, elles sont conformes à la « volonté générale ». La désobéissance aux lois est une source de désordres préjudiciables à la société toute entière.
Injustement condamné à mort par le tribunal d’Athènes, Socrate refuse de s’enfuir comme l’en conjurent ses amis et préfère boire la ciguë, plutôt que de désobéir aux lois de la cité.
Pour Hobbes, la vie en société exige l’obéissance de tous à la loi ; il est juste d’obéir aux lois et il est toujours injuste de leur désobéir.
Dans " l’état de nature ", les hommes sont exposés à la mort car " l’Homme est un loup pour l’Homme ". Tous s’attaquent à la vie des autres et convoitent leurs biens. C’est la " loi du plus fort ", mais comme l’a remarqué Pascal, nul n’est assez fort pour le demeurer toujours.
Dans " l’état de nature " où règne un état de guerre permanent, les hommes vivent dans la crainte perpétuelle de perdre leur vie et leurs biens. C’est pourquoi, ils renoncent à la fausse liberté de faire " ce qu’ils veulent " et acceptent pour assurer leur sécurité d’obéir aux lois incarnées par le « Souverain ».
Ce mythe exprime la raison d’être des lois : sans les lois, chacun déciderait de ce qui est " juste " et de ce qui ne l’est pas et les intérêts des uns entreraient sans cesse en conflit avec ceux des autres.
Selon Jean-Jacques Rousseau : " L’obéissance au seul appétit est esclavage et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ".
Dans un régime démocratique, le vote collectif de la loi permet de résoudre le problème en donnant au critère de « justice » choisi pour norme une légitimité qui le rend incontestable. Chacun est dès lors obligé de respecter la loi, au risque d’être injuste.
2. Il est parfois " juste " de désobéir aux lois :
Il est injuste de désobéir aux lois quand nous avons envie de faire " ce qui nous plaît " et que cela nous arrange.
Cependant, est-il toujours juste d’obéir aux lois ?
N’y a-t-il pas des circonstances où il est juste - au contraire - de leur désobéir ?
Aristote croyait en l’existence d’une loi " naturelle " qui fait connaître ce qui est juste " en soi ". Cette loi " naturelle " permet de contester le droit " positif " lorsqu’il nous paraît injuste.
Sans elle, on ne pourrait critiquer les lois qui autorisent ce que cette loi " naturelle " nous interdit.
Doit-on alors distinguer les lois de la " Justice ", le droit " naturel " du droit " positif " ?
Ce n’est pas parce qu’une loi est votée par des représentants élus démocratiquement qu’elle est légitime. Une loi peut être injuste, scélérate ou ne représenter qu’une minorité de députés dans une assemblée où « l’absentéisme » est de règle.
D’autre part, comme l’a fait remarquer Alexis de Tocqueville dans " De la démocratie en Amérique ", les lois sont votées à la majorité, d’où le danger d’une " dictature de la majorité " : " Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires ! "
Il est donc nécessaire que le principe de la majorité soit équilibré par le fait d’accorder des droits à la minorité.
Selon Saint Augustin, il ne suffit pas d’obéir aux lois pour être " juste ", mais avant tout se soucier de justice car une loi injuste n’est pas une loi.
Comme Antigone, Saint Augustin considère qu’il y a des lois " divines " et qu’elles sont supérieures aux lois " humaines ".
Pour Martin Luther King, leader du " Mouvement des droits civiques " aux Etats-Unis, la désobéissance aux lois injustes est un devoir moral. Chacun est tenu de désobéir aux lois quand elles sont injustes, à condition de ne pas attenter aux personnes et aux biens.
Toutefois, d’autres activistes " noirs " comme Malcolm X, justifient en dernier recours l’usage de la violence lorsque les autorités restent sourdes aux exigences de la justice, ce qui pose le problème de la justification des moyens par les fins.
Le problème des limites respectives de la violence et de la " non-violence " se pose aujourd’hui en France avec le mouvement des " Gilets Jaunes ".
Antigone désobéit à Créon car elle estime qu’il a promulgué une loi injuste. Elle lui reproche d’avoir érigé en loi un cas particulier : Créon autorise tous les Thébains à enterrer leurs morts, sauf les proches de Polynice.
Antigone considère que la décision de Créon n’est pas une loi, n’étant ni équitable, ni universelle, mais une décision arbitraire.
L’interdiction de Créon ne peut pas être considérée comme une loi car une loi s’applique à tous et pas seulement à un seul ; elle est donc injuste et arbitraire. Il y des lois qui sont au-dessus des lois " humaines " : les lois divines qui interdisent de laisser les morts sans sépulture.
Quand une femme " noire ", Rosa Parks refusa, en 1955, de laisser sa place à un homme " blanc " dans un bus à Montgomery, elle désobéit aux lois ségrégationnistes qui régnaient alors en Alabama, mais elle obéissait à une loi non écrite, une loi " naturelle " qui proclame l’égalité et la dignité de tous les êtres humains.
Pour Henri David Thoreau, l’auteur de " La désobéissance civile " qui a inventé l’expression, emprisonné pour avoir refusé de payer ses impôts pour protester contre l’esclavage et la guerre contre le Mexique, il peut être juste de ne pas consentir à des lois injustes.
Une société " juste " ne peut pas s’accommoder de l’esclavage. Les questions de Henri David Thoreau nous interpellent encore aujourd’hui : pouvons-nous, par exemple, subordonner la « défense des droits de l’Homme » à celle du " libre échange " dans nos rapports commerciaux avec des régimes dictatoriaux ?
Note : " La Désobéissance civile " (1849) est l’un des textes fondateurs de la contestation sociale du XIXème et du XXème siècles.
En même temps, ce pamphlet s’inscrit dans toute une tradition de réflexions politiques qui court depuis l’Antiquité, de Platon à Thomas Jefferson, via le " Discours de la servitude volontaire " d’Etienne de la Boétie.
Il tire aussi ses racines de la « Révolution américaine » de 1775 et 1776 et il donnera des fruits chez des " révoltés " aussi célèbres qu’éloignés dans le temps et l’espace : Tolstoï, Gandhi et Martin Luther King, tous trois " non-violents ".
Le précepte antique « summum jus summa injuria » (" le comble de la loi est le comble de l’injustice ") ne garde-t-il pas toute sa valeur quand la loi prescrit l’inacceptable ?
Pendant « l’Occupation », il était illégal de secourir des juifs, alors qu’aujourd’hui ceux qui ont désobéi aux lois du gouvernement de Vichy sont considérés comme " justes parmi les nations ".
Si nous obéissons à la volonté d’un despote ou d’un régime tyrannique, nous sommes alors réduits à l’état de servitude. Or, rien ne justifie - ni ne vaut - un tel sacrifice. Pas même la sécurité et « l’ordre » comme le préconisait Hobbes dans le " Léviathan ".
Si j’obéis sans limites, de manière inconditionnelle, alors je n’ai plus ni droits, ni devoirs. Je suis donc détruit en tant qu’être moral et je me transforme en robot.
Une société " juste " peut-elle s’accommoder aujourd’hui d’injustices sociales et territoriales contraires à la Constitution qui stipule que la France est une République sociale ?
3. A quelles conditions est-il juste d’ obéir aux lois ?
Les lois sont le reflet des usages et des rapports de force dans une société donnée et peuvent évoluer pour devenir plus dignes qu’on leur obéisse.
La désobéissance n’est pas souhaitable inconditionnellement, mais seulement quand elle permet l’avènement d’une justice véritablement équitable, non seulement sur le plan juridique, mais également social et économique.
Toutefois, la désobéissance est " juste " dans la mesure où elle se fonde sur une valeur morale objective ou une norme politique supérieure.
Si une loi contrevient à la loi fondamentale - la Constitution - on peut, au nom des « droits de l’Homme » qui l’inspire, avoir un motif valable de lui désobéir, notamment en cas d’urgence vitale, par exemple, secourir des migrants sans papier en situation de détresse.
Selon John Rawls, la désobéissance n’est " juste " que dans le cas où nous ne disposons pas des moyens légaux et/ou politiques de contester la loi.
Conclusion :
Il est injuste de désobéir aux lois pour obéir à mes intérêts et assouvir mes caprices en faisant " ce qui me plaît " au détriment de l’intérêt des autres.
Cependant, on peut - et on doit - désobéir à la loi quand la loi s’oppose aux droits humains et viole les convictions de la conscience.
Pour être dignes qu’on leur obéisse, les lois doivent devenir véritablement justes et équitables en favorisant non seulement l’égalité devant la loi, mais aussi la justice sociale et économique.
Robin GUILLOUX
AgoraVox.fr