" Amazon " privatise la diffusion de Roland Garros : nouvel assaut contre le sport populaire
" Amazon " privatise la diffusion de Roland Garros : nouvel assaut contre le sport populaire
Tempête sur Roland Garros : certains matchs de Rafael Nadal pourraient bien ne plus être diffusés sur France TV... PAUL CROCK / AFP
Une partie des matchs du tournoi de Roland Garros qui débute ce dimanche 30 mai ne sera diffusée en France que sur la plateforme " Amazon Prime ". Du foot au cyclisme, chaines privées et plateformes de " streaming " mettent à mal des sports populaires et autrefois accessibles au grand public.
Pour la première fois, les " fans " de tennis vont devoir s’abonner à une " plateforme " pour regarder certains matchs du tournoi de Roland Garros, qui s’ouvre ce dimanche 30 mai.
Depuis 1987, " France Télévisions " diffusait sur " France 2 ", " France 3 " et " France 4 " l’intégralité des matchs. Une aubaine pour les millions de Français qui suivent l’évènement chaque année. Mais en 2019, " Amazon Prime " a obtenu les droits exclusifs pour plusieurs matchs à partir de cette année et jusqu’en 2023.
Cette première pour Roland Garros reflète une évolution du sport à la télévision, de moins en moins accessible au " grand public ".
Les " fans " de foot sont désormais habitués à " filouter " pour regarder leurs équipes de cœur, loin de l’époque où un seul abonnement à " Canal + " permettait de regarder l’essentiel des matchs en France. " Bein ", " RMC Sport " et plus récemment " Mediapro " sont venus bouleverser les diffusions et vider le portefeuille des Français, car " tous y vont de leur offre à plus de 20 euros mensuels ", vous racontait " Marianne " l’an dernier.
Après le foot, c’est le tennis qui s’engage sur la pente du " payant ".
A partir de ce dimanche 30 mai, pour voir les matchs du nouveau court Simonne-Mathieu et les 10 sessions nocturnes (à partir de 21h00) sur le Philippe-Chatrier, les amoureux du tennis devront se tourner vers " Amazon Prime Video " : impossible de regarder ces matchs à la télévision française.
Par chance, le couvre-feu oblige ces sessions nocturnes à se tenir à huis clos. Ni Nadal ni Federer n’étant disposés à jouer sans public, le " Covid-19 ", pour une fois utile, pourrait bien limiter les matchs " privatisés " entre " têtes d’affiches " cette année.
Mais ce n’est qu’un sursis : " Amazon " s’installe pour longtemps.
UN MILLIARD POUR LE FOOTBALL AMÉRICAIN
Aux Etats-Unis, le groupe a raflé les droits exclusifs de la " NFL ", le football américain.
De l’autre côté de la Manche, c’est " l’US Open " et de grandes rencontres footballistiques que la plateforme diffuse. De même en Italie et en Allemagne, où plusieurs rencontres de " Ligue des champions " ne sont plus accessibles que sur la plateforme.
Cette année pour voir Roland Garros, les amateurs de tennis pourront profiter du « mois gratuit » (90 jours pour les étudiants). Une solution promue jusqu’à la tête de la " Fédération Française de Tennis ", dont la directrice générale confiait récemment à l’AFP : " On a la conscience très tranquille au sens où quelqu’un qui souhaiterait regarder pourra le faire gratuitement puisque le diffuseur propose une offre d’essai gratuite de trente jours. "
PAS DE REMORDS DE LA FFT
La " conscience tranquille " et la bourse bien remplie, puisque la FFT a augmenté ses recettes de " plus de 25 % " sur cette opération. A ce prix-là, la présidente de la FFT ne peut que louer " un partenaire très motivé qui investit depuis un moment dans le sport et est très innovant ". Quand " Amazon " débarque dans un sport c’est avec des mallettes de " cash " : le groupe a déboursé un milliard de dollars pour la NFL. On comprend qu’il y ait peu de considération pour le " grand public " de la part de ceux qui en tirent des bénéfices.
En 2019, l’appel d’offres avait suscité de lourdes critiques à l’égard de la Fédération. La patronne de " France Télévisions ", Delphine Ernotte, avait déclaré dans une interview au " Monde " : " Ce que j’ai lu dans la presse – à savoir qu’elle veut beaucoup plus d’argent et qu’elle va demander aux GAFA – m’a beaucoup choquée ".
" C’est une façon très cavalière de traiter un partenaire de 30 ans ", avait-elle insisté.
Sans susciter de remords à " la Fédé ".
MAURESMO POUR VENDRE LA FORMULE
A ce prix-là, " Amazon Prime Video " peut bien s’offrir des consultants " en or " : Amélie Mauresmo, Marion Bartoli ou encore Arnaud Clément. La plateforme proposera des programmes dédiés au tournoi dès le milieu de matinée, avec des émissions animées par ses journalistes et consultants. En plus des matchs exclusifs, " Prime Video " a obtenu de pouvoir " co-diffuser " avec " France TV " les matchs à partir des quarts de finale.
A ses abonnés, qui après le premier mois gratuit doivent débourser 6 euros par mois ou 50 euros par an, le service de " streaming " propose une fonctionnalité qui permet d’accéder à des informations sur le match, comme des statistiques détaillées ou les biographiques des joueurs.
Une innovation attrayante mais qui n’égalera jamais les interviews en " franglais " de Nelson Monfort.
LE " GIRO " NE COÛTE PLUS ZÉRO
Priver les Français des sports qu’ils pouvaient voir sur leur poste sans devoir faire des crédits à la consommation est devenu en quelques années une compétition à part entière. En plus du foot et du tennis, le cyclisme est aussi touché. Ces dernières années, les " accros au vélo " pouvaient profiter en clair sur la chaine " L’Equipe " des étapes du " Tour d’Italie ", le fameux " Giro ", et ses cols les plus durs au monde.
Las, " Eurosport " a raflé les droits et, pour embêter " Canal + ", ne diffuse même pas les étapes sur ses chaines : il faut s’abonner à son site de " streaming " ou à la plateforme " Global Cyclist Network " pour y avoir accès. Et voilà le deuxième " grand tour " devenir un événement périphérique en France, alors que jusqu’à 1,4 millions de téléspectateurs pouvaient regarder l’arrivée au mythique Monte Zoncolan en 2018 sur le canal 21…
Comment lutter contre ces conséquences d’un libéralisme sans frein ?
Interrogé par " Marianne " en 2020, l’économiste Pierre Rondeau propose de " ne plus attribuer les droits TV au plus offrant à court terme, mais au mieux-disant sur le long terme ".
Et sauver ainsi une " certaine idée du sport " et de son accessibilité au grand public.
Théo MOY
Marianne.fr