A l’écart des circuits officiels, des parents d’élèves défendent l’école pour tous
A l’écart des circuits officiels, des parents d’élèves défendent l’école pour tous
En Seine-Saint-Denis, le refus du déclassement et des inégalités territoriales
Redoutant l’enseignement dans les écoles d’une « théorie du genre », quelques parents d’élèves, abondamment relayés par la presse, ont préféré soustraire leurs enfants à leur obligation scolaire. Même si la chose est moins médiatisée, il arrive que parents et enseignants œuvrent, au contraire, à la défense commune des principes fondamentaux de l’école républicaine. Comme en Seine-Saint-Denis, depuis quelques années.
Une nébuleuse de SMS et d’articulets, de tweets et de posts aura suffi à plonger la France dans l’émoi. Depuis fin janvier, les « journées de retrait de l’école » (JRE) ont affecté quelques dizaines d’établissements dans le pays. Orchestrée par Mme Farida Belghoul et par des réseaux de droite plus ou moins extrême, cette mobilisation - dont les effets sont restés somme toute assez limités - entend protester contre l’introduction supposée de la « théorie du genre » à l’école.
Bornés ou bernés, des parents ont retiré leurs enfants des classes. Il n’en a pas fallu davantage pour mettre en branle la grosse caisse médiatique et déclencher les rodomontades républicaines du ministre de l’éducation nationale.
Face aux micros et aux caméras qui l’attendaient à la sortie du conseil des ministres, M. Vincent Peillon exigea des fonctionnaires qu’ils « convoquent les parents qui ne mettent pas leurs enfants à l’école (...) pour leur rappeler que, dans notre pays, il y a une obligation scolaire » (Le Figaro, 29 janvier 2014).
« Obligation scolaire » ?
Depuis les lois Ferry de 1881-1882, ce principe constitue en effet l’un des fondements de l’école républicaine. En vertu de celui-ci, l’Etat peut exiger des familles qu’elles scolarisent leurs enfants. En retour, les familles peuvent exiger de l’Etat qu’il offre des conditions d’apprentissage égales à tous sur le territoire...
C’est ce droit-là qu’en région parisienne un groupe de parents d’élèves du département de la Seine-Saint-Denis, fort différent des organisateurs des JRE, entend rappeler actuellement aux pouvoirs publics. Loin du charivari réactionnaire, ce mouvement ne jouit pas de la même attention politique et médiatique.
Sous le préau de l’école Paul-Langevin de Saint-Ouen, la Nuit des écoles s’achève. La gardienne de l’école attend. Les enfants fatiguent et s’impatientent pendant que les parents rangent les bancs, débarrassent les tables, échangent leurs coordonnées. Avant de se quitter, ils s’accordent sur les termes de la motion qu’ils présenteront la semaine prochaine dans les conseils d’école du département.
« Cette fois, on n’a pas réussi à faire descendre les parents des tours, regrette Loïc (1), la quarantaine. Il faut dire qu’hier, il y a eu du grabuge dans le quartier et la police a conseillé aux habitants de rester chez eux ce soir. » Accoudé sur ses béquilles, il s’interroge : « On était combien ? Une soixantaine, non ? »
A l’initiative du " Collectif des parents de la Seine-Saint-Denis ", une organisation autogérée, des parents, des enseignants et des élus sont venus débattre de la réforme des rythmes scolaires. Son application, prévue pour l’année prochaine à Saint-Ouen, suscite des résistances. Si les avis divergent sur l’adaptation du temps scolaire de l’enfant, tous contestent la légitimité d’une telle politique en période d’austérité budgétaire.
La rhétorique du libre choix
Alors que l’Assemblée nationale vient de voter une baisse des dotations aux collectivités territoriales de 1,5 milliard d’euros pour 2014, cette réforme accentue les inégalités entre communes riches et pauvres.
La qualité du périscolaire - les activités organisées avant ou après la classe - dont le financement est à la charge des communes, dépendra des moyens disponibles. La gratuité, elle, cesse d’être une obligation. Pour les habitants d’un département pauvre - ici, le taux de chômage dépasse 12 % - et jeune - 21 % de la population a entre 3 et 17 ans -, la rupture de l’égalité territoriale de l’école n’augure rien de bon.
Déjà, il y a dix-huit mois, les parents du département s’étaient unis pour protester contre le non-remplacement des enseignants. « Le 17 octobre 2012, explique Dominique, de Pantin, nous avons organisé une réunion avec une soixantaine de personnes. Il y avait des parents de Saint-Ouen, Saint-Denis, Pantin, Epinay, Aubervilliers, Bobigny... Nous nous sommes constitués en collectif et avons rédigé une charte en dix points. »
Défendant le principe d’une « école publique de qualité pour tous », le document exige le recrutement d’enseignants formés et de médecins scolaires, le rétablissement des réseaux d’aides spécialisées aux enfants en difficulté (Rased) ou encore la généralisation de la scolarisation des enfants à partir de 2 ans et demi (2).
Pour l’un des instigateurs du mouvement, Mathieu, qui vit à Epinay-sur-Seine, la Seine-Saint-Denis pâtirait d’une forme de ségrégation. Lorsqu’il a décidé de saisir la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) pour « discrimination territoriale », en 2011, celle-ci l’a débouté.
Les chiffres n’en demeurent pas moins accusateurs : « En temps cumulé, un enfant de Seine-Saint-Denis perd en moyenne un an de cours sur toute la durée de sa scolarité en raison du non-remplacement des enseignants. » Une situation qu’il corrèle au taux de réussite, « inférieur de 10 % par rapport au reste de l’académie ».
Apparu dans les communes de la petite couronne francilienne, le " Collectif des parents d’élèves de la Seine-Saint-Denis " ne doit pas son essor à un hasard géographique.
La hausse des prix de l’immobilier dans la capitale a renforcé la présence des classes moyennes dans ces villes populaires situées au-delà du périphérique. Autour d’un noyau de parents vivant depuis longtemps en banlieue, celles-ci ont mobilisé leur capital culturel, social et parfois militant pour dénoncer des situations qui préexistaient à leur installation.
L’enjeu ?
Qu’au déclassement " résidentiel " ne s’ajoute pas le déclassement " scolaire ".
Les caractéristiques locales du « marché scolaire » ont fait le reste. Une offre dans le public relativement homogène en termes de niveau et un nombre restreint d’établissements privés expliquent que la coopération entre les parents ait pu émerger dans ce département.
En effet, l’évitement - ce symptôme de la compétition scolaire - n’est pas apparu comme une solution aux problèmes qui se posaient. Inscrire son enfant dans un autre établissement que celui supposé l’accueillir s’avérait particulièrement compliqué, ne serait-ce qu’en raison des distances à parcourir quotidiennement entre le domicile et l’école.
La politique du ministère qui consiste à administrer la pénurie en semant la division, n’a pas encore réussi à miner la solidarité des coalisés. « On n’est pas dupes. En général, quand des parents se mobilisent contre le non-remplacement d’un enseignant, le rectorat n’a pas d’autre choix que de trouver quelqu’un, reprend Dominique. Deux cents gosses assis dans un couloir faute d’instituteur, c’est indéfendable. Le problème, c’est qu’on sait très bien qu’ils prennent cet enseignant dans une autre école. Du coup, plutôt que d’entrer dans leur jeu, on a décidé de se fédérer à l’échelle du département. »
Gageure dans d’autres secteurs de la société, l’organisation de parents qui, pourtant, ne se connaissaient pas semble fonctionner : « Un mois après la création de notre association, poursuit-il, nous avons commencé à occuper des écoles. Nous nous sommes mobilisés le même jour dans vingt des quarante villes que compte le département. Et les actions se sont enchaînées. Je n’avais jamais vu une telle solidarité entre communes. »
Si le constat vaut dans le primaire, la situation apparaît fort différente dans le secondaire où les mobilisations de parents restent rares.
La raison ?
« Dans le primaire, explique Loïc, on amène son enfant à l’école et on vient le chercher, on organise des kermesses... Cela permet des rencontres entre parents qui, sinon, n’auraient pas lieu. On fait connaissance, on parle de la scolarité et des problèmes auxquels on est confronté. Cela permet d’amorcer un mouvement si la situation l’exige. »
Le géographe Jean-Christophe François avance une seconde hypothèse : « En Seine-Saint-Denis, les dérogations à la carte scolaire demeurent marginales. Mais leur nombre augmente entre l’école élémentaire et le collège. Or, dans ce département, le moindre départ peut affecter la vie de tout un établissement. Dans les collèges et les lycées, il arrive que les parents les plus susceptibles d’organiser une mobilisation soient partis... »
Les chiffres indiquent une détérioration de la situation : en 1992, moins de 5 % des élèves demandaient une dérogation à l’entrée en sixième (qui leur était accordée dans 56 % des cas) contre 12 % en 2009 (44 % de vœux exaucés).
Orchestrée par les pouvoirs publics, la déréglementation, avec son cortège d’établissements autonomes (3), accentue la concurrence entre établissements et entre parents. De la même façon, les politiques d’austérité fortifient le privé en affaiblissant le public. Bien qu’il soit nettement moins élevé qu’à Paris (13 % contre 34 %), le taux d’élèves scolarisés dans un collège privé augmente lui aussi, en raison d’un effet de rattrapage.
Les stratégies d’évitement gagnent du terrain, tandis que l’attachement au service public faiblit. Depuis le retrait de la loi Savary sur la suppression du financement public des écoles privées, en 1984, les parents d’élèves se convertissent en nombre à la rhétorique du « libre choix ».
En assouplissant la carte scolaire et en dotant inégalement les établissements, l’Etat légitime ces conduites. La peur du déclassement social fait le reste en donnant libre cours à l’« optimisation scolaire » de parents soucieux d’offrir à leur enfant un diplôme convertible sur le marché du travail (4).
« Démissionnaires » ? Un mythe
Tandis que se généralise la figure du « parent stratège », apparaît en miroir celle du « parent démissionnaire ».
Dans le procès permanent fait au système scolaire et à ses dysfonctionnements, cette autre figure, à laquelle s’attachent exclusivement les discours politiques et médiatiques, permet de reporter la charge de la culpabilité sur les familles et en particulier, les familles populaires. Loin de trouver son origine dans l’organisation de l’école ou dans la structure inégalitaire de la société, l’échec scolaire et l’absentéisme s’expliqueraient par l’irresponsabilité de certains parents.
« Tout a commencé avec la loi de sécurité intérieure proposée par Nicolas Sarkozy en décembre 2002 », analyse M. Christophe Daadouch, juriste et formateur en travail social. Ce texte emblématique prévoyait des sanctions pénales (deux ans de prison et 30 000 euros d’amende) en cas de carence éducative des familles : « La circulaire d’application précisait bien que le texte pouvait s’appliquer aux parents dont les enfants étaient souvent absents. »
Quatre ans plus tard, les contrats de responsabilité parentale (CRP) institués par M. Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, venaient compléter le dispositif. Ne reculant devant aucune surenchère, le député et président du conseil général des Alpes-Maritimes Eric Ciotti rendit obligatoire ce dispositif à l’origine facultatif, à travers la loi sur l’absentéisme scolaire, dite " loi Ciotti ", de septembre 2010. Cette dernière a suscité « une vive opposition des éducateurs et un grand désintérêt des conseils généraux », observe M. Daadouch.
Il en est allé différemment des « Conseils pour les Droits et les devoirs des familles » (CDDF), dont M. Ciotti souhaitait également généraliser l’institution. Ces tribunaux pour parents, créés par M. Sarkozy en 2007, devaient permettre aux familles d’enfants absents ou violents de plaider leur cause devant les représentants des communes. A droite comme à gauche, cette mesure a rencontré un succès certain. « Avant même que Ciotti ne la rende obligatoire dans les communes de plus de cinquante mille habitants, Manuel Valls l’avait instituée à Evry (5)... »
Loi de sécurité intérieure (2002), CRP (2006), CDDF (2007), loi Ciotti (2010) : la droite a accrédité dans l’opinion l’idée que les parents - et en particulier les parents des banlieues - devaient être rappelés à leurs devoirs.
L’abrogation de la loi Ciotti, en 2013, suffira- t-elle à déconstruire cette représentation ? Peut-être pas. D’autant que, « si la suspension des prestations familiales a été effectivement remplacée par un travail éducatif, les CDDF et les sanctions pénales, eux, figurent toujours dans les textes. La réécriture s’est faite à la marge », regrette M. Daadouch. Il en conclut carrément : « Sur ces questions-là, il y a une convergence idéologique entre l’UMP [Union pour un mouvement populaire] et le Parti socialiste. »
Aux antipodes de l’image d’enfants livrés à eux-mêmes et de familles aux abonnés absents, les actions des parents de Seine-Saint-Denis traduisent une implication qui, si elle est souvent coordonnée par une minorité, ne lui est pas spécifique. « Les parents démissionnaires ? C’est un mythe ! , s’exclame le sociologue Tristan Poullaouec qui a analysé le rapport des familles ouvrières à l’école (6). Toutes les enquêtes montrent que la mobilisation des familles populaires est tout aussi importante que celle des autres. Pour elles, l’école est désormais au centre de la vie. »
Leur conversion aux études longues en atteste. Jusqu’aux années 1960, la part des parents ouvriers qui envisageaient une suite à la scolarité de leurs enfants après le certificat d’études était minoritaire. En 1962, seuls 15 % des élèves allaient jusqu’au baccalauréat, contre 90 % actuellement.
Selon Poullaouec, l’explication de cette révolution culturelle est double : « D’un côté, l’instauration de l’école unique élargit l’horizon des familles populaires en mettant fin à des décennies de privation. De l’autre, l’apparition du chômage de masse - le taux de chômage des jeunes a été multiplié par cinq entre 1975 et 1985 - achève de les convaincre que, sans diplôme, on ne peut pas s’en sortir dans une société salariale. »
L’investissement scolaire des familles populaires s’est intensifié à mesure que l’école se transformait en instance de socialisation hégémonique (7). « Si on s’intéresse, par exemple, à un indicateur comme l’aide aux devoirs à la maison, poursuit le sociologue, des recherches ont montré qu’entre 1992 et 2003 le temps qui y était consacré ne variait pas en fonction du milieu social. On tourne toujours autour d’une heure par jour et par enfant en moyenne. C’est une bonne donnée, même si cela ne dit évidemment rien de la qualité de cette aide. »
Si elles s’impliquent davantage, les classes populaires acceptent néanmoins la division du travail éducatif. L’école reste en partie pour elles « un milieu hostile pourvoyeur de frustrations et d’échecs », souligne Poullaouec. « Elles ne défendent pas la “ coéducation ”. » Au contraire des classes moyennes, en effet, elles doutent de l’idée qu’il faille associer parents et enseignants au nom d’une continuité entre éducation scolaire et éducation familiale (lire « Limites de la coéducation »). Mais, en accaparant l’exercice de la représentation dans les conseils d’école et les conseils d’administration, les classes moyennes ont imposé la particularité de leurs attentes sociales.
De plus en plus étroitement associés, enseignants et parents ont noué des rapports ambivalents. Pour M. César Landron, secrétaire départemental du Syndicat national unifié des directeurs, instituteurs et des professeurs des écoles - Force ouvrière (Snudi-FO), deuxième syndicat enseignant dans le primaire, « cela fait une dizaine d’années que toutes les luttes se font dans l’unité avec les parents ». Efficace, notamment sur les rythmes scolaires, cette alliance enfonce un coin dans l’antagonisme favori du pouvoir et des médias : celui qui opposerait salariés et usagers.
Elle n’en est pas pour autant indéfectible. Lorsqu’il arrive que les parents soient plus formés que les enseignants, l’arène de la communauté scolaire peut conduire à une surveillance par les premiers du travail des seconds plutôt qu’à une solidarité visant à défendre l’institution. L’attachement des fédérations de parents d’élèves à une école de proximité peut en outre altérer les conditions de travail des professeurs.
Pas de voile pour les mères ?
Cela pourrait être le cas avec la réforme du statut des enseignants, qui prévoit d’accroître la participation des parents à l’élaboration de la vie scolaire. Elle leur laisse par exemple le soin de fixer - avec les autres acteurs de l’éducation - une partie des obligations des professeurs du secondaire : nombre d’heures de cours, cadre et contenu de leur mission... « Au nom de l’autonomie des établissements, déplore M. Landron, certains dirigeants de la FCPE [Fédération des conseils de parents d’élèves] ne voient aucun inconvénient à ce que nous n’ayons pas les mêmes statuts, c’est-à-dire les mêmes droits et les mêmes devoirs, quel que soit l’endroit où l’on travaille. »
Cette participation croissante n’est pas sans conséquences pour les parents eux-mêmes. Elle soulève la question des droits auxquels ils peuvent prétendre et des devoirs auxquels ils doivent s’astreindre. Pour les droits, la FCPE milite par exemple en faveur de la création d’un statut de " Parent Délégué " qui donnerait accès à une formation et à des compensations financières pour les représentants élus. Quant aux devoirs, c’est le problème de la laïcité qui se pose avec acuité.
Au centre social des Tilleuls, au Blanc-Mesnil, Rachida, Mouna, Khadija, Feirouz et Mylène, assises autour d’une table, ne décolèrent pas. Fondatrices du collectif " Sorties scolaires : avec nous ! ", ces femmes voilées bataillent contre la circulaire Chatel du 27 mars 2012. Soumettant les « parents d’élèves ou tout autre intervenant » aux mêmes règles que les enseignants lors des sorties scolaires, ce texte, qu’une décision du Conseil d’Etat a confirmé le 23 décembre 2013, a ravivé la question de la laïcité à l’école.
« On sait qu’il existe des lois dans l’école, explique Rachida. La neutralité doit s’appliquer aux enseignants et aux intervenants. Mais nous, on est simplement des parents. » Mises au ban, ces femmes impliquées dans la scolarité de leurs enfants se sentent humiliées. « Pour trouver un remplaçant à l’instituteur de mon fils, tempête Khadija, c’est moi qui ai fait signer toutes les pétitions. Et tout le monde m’a remerciée. A ce moment-là, mon voile ne posait problème à personne. »
Ces mères n’ont rien de militantes prosélytes ; il leur paraîtrait d’ailleurs inconcevable de mettre leur enfant dans une école confessionnelle. « Si un jour on accepte de mettre nos enfants dans une école privée, c’est qu’on aura laissé le champ libre à leur système, réagit Feirouz. On ne veut pas du communautarisme. »
Pris au piège des mots, les enseignants et les directeurs d’école peinent à faire appliquer la laïcité à l’heure où celle-ci est détournée à des fins discriminatoires. Dans ces conditions, la solution ne serait-elle pas de restaurer la division du travail éducatif en confiant le rôle d’accompagnateurs à des personnels recrutés par l’Etat ? Ces femmes y sont favorables. « C’est vrai qu’on ressentirait une frustration de ne plus pouvoir accompagner nos enfants, mais, au moins, il n’y aurait pas de discrimination entre les parents. Sans compter que ça donnerait du travail à des jeunes ! »
Parents " laïques " contre parents " prosélytes " ; parents " stratèges " contre parents " démissionnaires " ; enseignants contre parents : érigée en pivot de la société, l’école est devenue l’objet de toutes les instrumentalisations. Consacrée au moment même où la démocratie recule dans la cité et dans l’entreprise, la fonction de « parent d’élève » agit comme un exutoire. L’école apparaît comme le lieu des délibérations participatives où tout reste possible à condition d’abattre la bonne carte.
A l’heure, cependant, où l’Etat social se saborde, où la misère grandit, où les inégalités ne cessent de croître, doit-on continuer à vouloir la transformer en ses murs, en l’investissant d’une espérance qu’elle ne peut satisfaire ? En universalisant leur condition particulière, une partie des pères et des mères de Seine-Saint-Denis ont compris qu’ils étaient citoyens avant d’être parents.
Allan Popelard
Géographe.
Le Monde Diplomatique
Notes :
(1) Certains des parents rencontrés n’ayant pas souhaité voir apparaître leur nom de famille, nous avons décidé, pour plus de cohérence, de ne donner que les prénoms.
(2) « Charte du collectif des parents d’élèves de Seine-Saint-Denis » :
www.collectifparentseleves93.com
(3) Cf. notamment le réseau " Ecoles, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite " (Eclair), dont on trouvera une cartographie dans « Feu sur l’école », Manière de voir, no 131, octobre-novembre 2013, en vente sur notre site.
(4) Lire Jean-Christophe François et Franck Poupeau, « Tout commence par le code postal », dans « Feu sur l’école », op. cit.
(5) Le ministre de l’intérieur a été maire d’Evry entre 2001 et 2012.
(6) Tristan Poullaouec, « Le Diplôme, arme des faibles. Les familles ouvrières et l’école », La Dispute, coll. « L’enjeu scolaire », Paris, 2010.
(7) Jean-Pierre Terrail (sous la dir. de), « L’Ecole en France. Crise, pratiques, perspectives », La Dispute, coll. « Etat des lieux », 2005.